Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

« La religion est la chaîne d’or qui suspend la terre au trône de l’Éternel. » Homère

Pour introduire cette nouvelle chronique, je n’ai pas pu résister à vous paraphraser un extrait de l’Odyssée, puisqu’on est en plein dedans et que ma connaissance en cet ouvrage remonte à mes cours de latin au collège. Je me suis replongé dans la lecture de ce fantastique bouquin et c’est donc avec un grand plaisir que je vous partage un extrait tout à propos de cette chronique de Prophetic Scourge et son deuxième album. Voici : « Infortunée ! Pourquoi veux-tu que je te révèle ces tristes prédictions ? Cependant, puisque tu le désires, je te dirai tout, et je ne te cacherai rien. Mais j’affligerai sans doute ton cœur : le mien, chère épouse, est déjà déchiré ! —Tirésias m’a ordonné de parcourir de nombreuses cités, en tenant à la main une rame brillante, jusqu’à ce que je trouve des peuples qui ne connaissent point la mer, des peuples qui ne se nourrissent point d’aliments salés et qui ne possèdent ni navires aux rouges parois, ni rames éclatantes, qui servent d’ailes aux vaisseaux. Il m’a donné un signe certain pour reconnaître ces peuples, et je ne te le cacherai pas. Quand un voyageur, s’offrant à ma vue, me demandera pourquoi je porte un van sur mes brillantes épaules, je dois alors planter ma rame dans la terre et sacrifier à Neptune de belles victimes, un bélier, un sanglier mâle et un taureau ; puis m’en retourner dans ma patrie et offrir des hécatombes sacrées à tous les immortels habitants de l’Olympe. Longtemps après, la Mort, sortant du sein des mers, me ravira doucement le jour au milieu d’une paisible vieillesse, et je laisserai après moi des peuples heureux. — Voilà ce que m’a prédit Tirésias, et il a ajouté que cet oracle s’accomplirait. » Merci! Passons à la chronique de « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey« , que j’attendais avec une certaine impatience.

Pourquoi? Parce que Prophetic Scourge en est à son deuxième opus avec moi. On n’était à l’époque sur une chronique bien sympathique, avec de légères réserves que le groupe n’avait pas manqué de souligner, cyniquement ou pas je ne saurais dire. Enfin bref! Toujours est-il que pour refaire des présentations, le groupe vient de Bayonne (cocorico!) et a jeté ses fondations en 2013. Avec une discographie assez condensée dirons-nous, soit une démo, un single et deux albums depuis avec le dernier qui va sortir, on ne peut pas vraiment dire que l’abondance soit de mise. Oui, mais! Il ne faut pas omettre que parfois la qualité prime sur la quantité, et que Prophetic Scourge peut notamment se targuer de largement bien tournée sur le plan évidemment français mais aussi notamment en Espagne, proche de son Sud-Ouest chéri. Alors, ne vous méprenez pas comme moi parfois : une discographie « famélique » n’est pas gage de mauvaise qualité, au contraire! Et j’avais prédit un bel avenir au groupe lors de mon précédent monologue, j’attends donc ce « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » avec délectation. Pour preuve : je n’officie plus vraiment dans le death metal pour des chroniques, laissant ce délicieux bout de gras à mon Incommensurable Charrapontains Antirouille et à l’occasion à mon Maître de la Métrique Arno. Mais cette-fois, non! Cet album est pour moi. Et je m’en réjouis d’avance!

Je ne vais pas non plus faire un parallèle fallacieux sur ma précédente chronique histoire notamment de ne pas comparer les artworks. Pour ce qui est de celui-ci, je lui trouve en tout cas beaucoup de qualité. Dans le style un peu surréaliste, sinon dada, avec une représentation d’Ulysse (le concept album tourne autour de son Odyssée) très… Originale. Sinon dérangeante. Il y a tellement de détournements et de symboles que c’en est un peu compliqué de discerner totalement le concept, ce qui démontre une complexité dans l’ouvrage qui me partage un peu. Sur le plan stylistique, il n’y a absolument aucun doute possible sur la beauté de l’artwork, mon adoration se situant sur les couleurs, le côté vieux parchemin qui me parle toujours avec autant de ferveur et cet assemblage loufoque de symboles et cette déprédation de sens me procurent un vrai bon sentiment. Ma seule crainte réside comme dans chaque artwork bien ou trop fourni, trop chargé : est-ce que cela ne va pas décourager l’auditeur? Ou ce mélange certes très métaphorique d’inspirations comme de l’égyptien sur le haut à gauche, la sculpture gréco-romaine pour la tête d’Ulysse, ce décorum désertique en bas qui fait penser aux pérégrinations d’Alexandre le Grand (Ulysse n’ayant jamais connu de désert) sont comme je disais d’un très bel effet de design, mais j’ai peur que l’on ne cerne pas le concept album. Même si le sujet est clair, on devine que le sens qui va être apporté sera fortement détourné ou revisité, et cela, je suis partant à condition qu’on ne tombe pas dans le trop-sens, et le non-sens par procuration. J’attends de voir, j’ai quelques interrogations pour la suite même si j’adore sincèrement l’artwork.

J’ai prononcé le mot subsidiaire en présentation du groupe, c’est donc sans suspense que je vous annonce que Prophetic Scourge baigne dans les bouillies nauséabondes du death metal. A un détail près, et non des moindres : la technicité dans leur musique. C’est dit à demi-mot mais selon moi, le death metal n’est pas aussi simple, il est d’une grande, très grande complexité technique. Il suffit d’écouter les morceaux, aucun ne se ressemble si ce n’est bien entendu sur le plan sonore. Le reste est souvent un concentré de riffs ultra rapides, techniques à point et surtout d’une excellente maitrise instrumentale, rendant « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » particulièrement complexe à assimiler. C’est indéniablement son point fort et c’est qui me plait avec force. J’avais loué précédemment toute cette technicité à haute dose, ce death metal technique – n’ayons pas peur des mots! – qui respire la brutalité par tous les pores et les alvéoles. Prophetic Scourge raconte l’Odyssée avec un incroyable tour de passe-passe dans la violence, la rendant quasiment authentique vu que tous les récits étaient largement nuancés à l’époque. Autre chose qu’il est bon de souligner : la longueur des pistes qui peuvent frôler les dix minutes! Cela aussi, c’est une belle prise de risque dans le sens où officier dans du death metal, qui plus est technique, obligerait les musiciens à faire dans l’expéditif pour que la mayonnaise frelatée soit digeste. Néanmoins, cette nouvelle prise de risque incombe avec autant de positivisme qu’elle fonctionne, dans le sens où on ne s’ennuie absolument jamais sur cet album. « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » est extrêmement bien ficelé et bien construit, chaque variation de riffs marche comme une bonne claque qui réveille, et nous remettant en selle sans fléchir. C’est donc un excellent deuxième album que nous ont pondu nos amis basques, et j’en déduis qu’il va y avoir une réception dantesque! Prophetic Scourge a frappé très très fort et surtout, avec un talent exceptionnel dans tout le processus composal. Chapeau bas, vraiment!

Et qui dit album talentueux, dit production idoine. Celle de « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » est un vrai bijou. Une vraie perle sonore, digne des grands albums. On la résume? C’est assez simple pour le coup. Un son très épais, bien lourd mais avec suffisamment de place aux instrumentations pour que le tout ne plonge pas idiotement vers l’old school. On entend bien tous les instruments, et c’est très important dans le genre death metal technique. Cela donne donc des guitares extrêmement bien synchronisées, chacune occupant des arpèges et des harmoniques combinées à la quasi perfection, une basse bien présente et bien technique également, n’occupant pas qu’une vulgaire place rythmique qui ne lui rend pas justice, une batterie là encore bien audible avec chaque nuance dans les toms qui s’entendent facilement. C’est un spectre sonore d’un immense agrément! J’apprécie beaucoup cette nuance très détaillée qui permet ainsi à chaque musicien d’amener sa patte et se faire écouter avec facilité. Cela donne envie d’approfondir la musique après un temps de digestion inhérent à cette technicité qui est envahissante et délectable. Klonosphère qui est le label référent, a de quoi se frotter les mains. Le boulot est très bien fait!

Du reste, « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » est une vraie progression selon moi. Déjà armé d’un talent indéniable sur le premier album, Prophetic Scourge a franchi un cap, c’est certain. D’abord par le pas en avant terrible que le quintet basque a fait dans son travail sur le concept album, qui revisite avec brio le mythe d’Ulysse, et le met à la sauce bourrine. J’adore l’idée, je trouve que l’album retranscrit à merveille ce péplum un peu trop alambiqué avec les millénaires, alors qu’à l’époque c’était un joyeux bordel d’ultra violence! Ensuite parce que le death metal technique est réalisé avec un tel luxe de détails et de technicité que l’on se demande même jusqu’où le groupe peut progresser avec ce « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » qui est excellent, avec des compositions longues mais inépuisantes, pleines de riffs changeants, et donc d’une folle richesse! Puis, dans le maintien de ce qui faisait déjà sa force, dans l’élaboration des noms des morceaux avec d’abord un mot clé et Prophetic Scourge avait donc au départ des bases solides et ne pouvait que progresser, mais j’étais loin d’imaginer que c’était avec autant d’agilité et de facilité! « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » va très probablement devenir une référence française, et comme son chef d’orchestre ne s’arrêtera probablement pas là, on va droit vers un incontournable du death metal français. Sinon basque, ne les vexons pas.

Enfin donc, nous voilà aux prises avec le chant. Si j’ai bonne mémoire, j’avais à l’époque émis quelques reproches dessus, notamment sur le fait de jongler à la Glen Benton sur des tessitures totalement opposées. Il me semble qu’à l’époque, je n’avais pas franchement compris l’intérêt de varier le chant, sachant que mes références en matière de death metal technique se situent principalement sur Spawn of Possession, Necrophagist et Obscura, c’est vous dire… Aujourd’hui, si je ne cautionne pas encore pleinement cette variation intempestive et parfois redondante, je commence à l’apprivoiser et l’apprécier tout doucement. Je reconnais que sur certains passages, varier le chant fonctionne bien. Mais sur d’autres, je suis bien en peine de comprendre ce choix, même sur la volonté de s’imprégner des ambiances qui oscillent entre le bourrin et le macabre. Mais en tout cas, le chant est propre, bien carré rythmiquement parlent et j’ajouterai très bien écrit, et la justesse technique n’est pas à démontrer tant les changements de tessitures sont maitrisés. On va donc retenir ce point plus objectif que mon ressenti plus personnel. Le chant est très bien exécuté, c’est tout ce qui compte.

Pour conclure, Prophetic Scourge nous mène tout droit vers sa gloire, et avec un sérieux qui ferait frémir les grands empereurs de jadis. « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » est le deuxième album et il me paraît déjà être celui de la maturité, dans tous les sens du terme. Avec une musique estampillée officieusement comme du death metal technique, le quintet du pays basque peut se vanter d’avoir sorti une future probable référence en la matière. Tout ou quasiment tout frôle la perfection et le surplus de talent. Cet album qui pourtant pourrait se digérer comme le pain noir du goulag est en réalité un pain artisanal et bien blanc qui descend tout seul dans le gosier, ce qui pour un style ultra technique et des longueurs de morceaux excessives est un comble. On pourrait ériger un nouveau panthéon de la scène française, pourvu que Prophetic Scourge soit l’échanson d’un Dieu que je vous laisse grand soin de désigner pour moi. Mais pour sûr que « Gnosis – A Sorrower’s Odyssey » offrira un jour les portes de la renommée pour eux. Album d’exception!

Tracklist :

1. The King – An Odyssey Begins Aright 08:35
2. The Cyclops – Blinded in the Garden of Eris 07:50
3. The Fury – Of Tasteless Wine and Sorrow’s Flesh 06:47
4. The Pyschopomp – Deaf to the Siren’s Hail 07:04
5. The Dragonchaser – Crowned on the Throne of Loti 09:49
6. The Mendicant – Known Only By Touch 08:21
7. The Tyrant – Wading ‘Ward Solace He Lucidly Drowns 16:18

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