Line-up sur cet Album
Asphodel - Chant / Eva-Lou Chevet - Basse / Atc - Batterie / Chloé Casasola - Guitares, Chant.
Style:
Black metalDate de sortie:
04 octobre 2025Label:
Mort sur MusiqueNote du SoilChroniqueur (Vince le Souriant) : 10/10
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
(Paul Verlaine, « Mon rêve familier« )
Le Black Metal serait-il une citadelle assiégée ?
A en juger par les discussions qui agitent la scène ces dernières années, et tout particulièrement ces dernières semaines, entre apiculture et annulations de concerts, nombreux sont ceux qui répondent oui.
Deux visions s’opposent : les tenants de l’orthodoxie, aux yeux desquels le genre est par essence infréquentable, et ceux qui au contraire, y voient un moyen d’expression ouvert aux pluralités, et aux débats qui secouent la société. Contresens, diront les premiers. Modernité, répondront les seconds.
Douve, qui a partagé la scène avec les vétérans de Worhs, se réclame du Queer Black Metal.
Certains d’entre vous s’arrêteront de lire ici. Ils ne savent pas ce qu’ils manquent : bien au-delà de l’étiquette, qui ne saute ni aux yeux ni aux oreilles. Douve a quelque chose à dire, et la note maximale que votre serviteur leur attribue, ils ne l’ont pas volée.
Mais revenons-en à la question première. De Dark Medieval Times au label Remparts Productions, de Stronghold aux pochettes de Wallachia, les références à l’architecture militaire et / ou à l’époque médiévale dans le Black Metal sont légion. Et cela n’a pas de quoi surprendre, tant le genre présente des liens culturels, non pas avec le Moyen-Âge en lui-même, mais bien avec les représentations qui en sont faites, et qui peuplent notre imaginaire [Le lecteur intéressé par ces questions pourra utilement se référer aux travaux de Justine Breton, ou encore au Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire paru chez Vendémiaire]. Douve n’échappe évidemment pas à ces connexions, puisque cette jeune formation a choisi de prendre le nom de ce « fossé à vocation défensive, souvent rempli d’eau, qui ceignait les remparts d’un château fort ». Sitôt rappelée cette définition, il me faut attirer l’attention du lecteur sur un point : on parle généralement DES douveS, même s’il n’y a qu’un seul fossé. L’usage du singulier est ici… Pour le moins singulier ! (Rires d’ex-prof de français, NDLR).
Va pour Douve donc, à l’instar du « Passage dans les douves » (titre de Véhémence), ou de l’excellent projet de Dungeon Synth Douves & Doloires.
Une douve, ça sert à se protéger. De qui, de quoi, c’est là tout l’enjeu de cet album, où l’on découvre que si l’enfer, c’est souvent les autres, et pas qu’à moitié, le supplice, c’est également soi-même. Ah, qu’ils sont généreux, ces musiciens, d’intituler leur album « Sol » (le soleil, en latin), et de l’orner d’un tournesol (magnifique artwork par le Studio Verlaine : le noir et blanc, ma fleur préférée, je défaille). En effet, tout comme la fleur, l’auditeur va désespérément chercher la lumière en parcourant ces huit titres, qui sont comme autant de perforations. Aucune complaisance, aucun misérabilisme, mais ce que chante la remarquable Asphodel (également entendue dans Mortis Mutilati), oscillant entre Köshmar et Bovary, c’est le viol, c’est la dysphorie, c’est l’internement ! Dans le livret, la vocaliste adresse à sa section rythmique ses remerciements pour « ce voyage nommé Douve ». A juste titre, et pour deux raisons : il est rare qu’une section rythmique soit aussi précise, percutante, et également audible. La guitare n’est d’ailleurs pas en reste. La deuxième raison est que, oui, Douve est bien un voyage. Une exploration intime, un inventaire de ses blessures, dont le caractère clinique aurait cédé la place à une plume imprégnée de Verlaine.
Sans trop céder à la tentation du track by track qui ne rendrait pas justice à l’unité que présente l’album, je ne peux qu’inviter à l’écouter et à le lire. Vous y trouverez du crachat et de l’anathème aussi bien dans les sons que dans les titres : « Heureux ceux qui nous violent », peignant une maison profanée, métaphore d’un corps abusé et meurtri, et dont les notes de basse quasi-percussives tombent comme des coups de poing. Le très stoner « Vestige », que ne renierait pas Queens of the Stone Age, et qui aborde la douleur d’être dans un corps qu’on ne parvient pas à s’approprier, le cri nihiliste aux guitares doom qu’est « Rien jamais personne n’existe »…
Douve envoie tout le monde chier, et se paie le luxe de coller un interlude au bout de trois titres. En vrai, il en aurait fallu tout plein d’autres. Parce que ce qui suit laisse pantelant. Ainsi, Un mur blanc couleur pilule est une chanson camisole, vrombissante comme l’esprit sur le point de tomber sous les coups de boutoir des psychotropes, où batterie, guitare et chant se cognent les uns les autres comme on le ferait sur les capitons d’une cellule. Et ce n’est rien encore.
Francis Cabrel chantait la tristesse de l’automne qui s’installe dans « Octobre » ? Brûlez vos calendriers ! « Novembre » sonne comme un adieu, où le chant clair se superpose à une guitare au désespoir et à une section rythmique épileptique. Et ce n’est rien encore.
Ce qui compte, plus que tout, et qu’on préférerait ne jamais avoir écouté, c’est « Anamnèse ». Le terme désigne l’évocation de la vie d’un patient, ayant pour but de comprendre son état présent. Explique-moi ce que tu as subi, pour que je comprenne de quoi tu souffres. Nirvana dans « Polly », Nada Surf avec « Mother’s Day », Tori Amos dans « Me and A Gun », Korn avec « Daddy » ont tous en commun de relater un viol. C’est aussi le cas de ce texte lu d’une voix grave. Une des choses les plus difficiles qu’il m’ait été donné de lire ou d’entendre depuis bien longtemps. A ranger aux côtés de l’intro de « Life Is Pain » d’Antilife, et à éviter comme on le ferait d’une matière ionisante.
Tout brûler. Ça, c’est un programme. Le message est clair. Vous ne pouvez pas blairer les lesbiennes ? Eh bien on va bien vous rétamer la gueule. Si vis pacem, para bellum. Saphique, ça pique !
HSBC : pas la banque, l’acronyme. Voilà ce qu’est votre chroniqueur. Un Homme straight blanc cisgenre. De plus de quarante ans, qui plus est. Qu’à cela ne tienne, les propos de Douve sont susceptibles de parler à tous. Après tout, quoi de plus inclusif que la rage, la haine, le dégoût ? Ou encore la tristesse, le mal-être, le désespoir ? Et quoi de plus BM ?
Assez parlé. Je suis monté au créneau pour dire tout le bien que je pense de ce projet. Il est dans mon top des albums de 2025. Le reste, c’est à vous d’en juger.
Tracklist :
Heureux ceux qui nous violent (3:16)
Vestige (7:26)
Rien jamais personne n’existe (4:30)
Interlude (1:18)
Un mur blanc couleur pilule (3:08)
Novembre (4:47)
Anamnèse (6:58)
Tout brûler (6:19)
















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