Broyeur d’Enfance – Suicide Sentimental

Le 30 décembre 2021 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • Zémus : guitares, basse, claviers, chant, paroles
  • Session :
  • Déhà : batterie

Style:

Black Metal Dépressif

Date de sortie:

04 décembre 2021

Label:

Black Shadow Legions

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.5/10

Les adultes craignent l’enfance, symbole de leur mort.” Yolande Chéné

On ne s’en rappelle pas toujours, mais nos maux et merveilles viennent souvent de notre enfance. Toute notre construction psychique se base sur ce que l’on vit en culotte courte, de bien et de mal. Je suis bien placé pour le savoir, dans mon métier on retrouve des personnes ayant des enfances totalement dévastées. Par n’importe quel couperet que ce soit, par un étayage parental absent ou même une vie sans repère, insécure comme on dit. Oui, on ne s’en rend pas compte mais l’enfance joue un rôle incroyablement primordial sur ce que nous sommes aujourd’hui. Je ne suis donc pas spécialement surpris de découvrir des groupes ou des musiciens qui mettent directement ou non leur enfance, ou tout du moins le regard qu’ils portent dessus, en avant sur leurs créations. Après, la question est : quelle est la meilleure musique pour exprimer une enfance détruite? Je pense que la réponse réside dans les ressentis de chacun bien sûr, mais il convient d’admettre que certains styles sont propices. Le metal ne fait pas exception, étant un style particulièrement saturé et extrême, il allait de soi que ce dernier soit un nid frais et toujours en renouvellement d’histoires tragiques et de désastres psychiques racontés avec aisance. Je suis bien naturellement friand de ce genre de démarches, et je considère comme notre bien connu Julien Truchan, qui fait le même boulot que moi, que la musique est un moyen excellent d’extérioriser ce qui ronge l’âme et le corps de l’intérieur. Alors, ce soir, je vous présente un projet qui me tient un peu à cœur puisqu’il sort tout fraichement du roster de mon bon Black Shadow Legions, et qui s’appelle efficacement Broyeur d’Enfance. L’album en question se nomme quant à lui « Suicide Sentimental« .

Derrière ce projet au nom coup de poing se cache une seule et même personne : Zémus. Jeune musicien, qu’à titre personnel je connais via les réseaux sociaux, et que je connaissais surtout pour son autre projet intitulé Witchcraft Ecstasy (que je recommande chaudement d’ailleurs!), « Suicide Sentimental » constitue à ce jour son seul et unique méfait. Un album sorti sous la bannière d’un label que j’affectionne toujours autant, pour une toute jeune formation dirigée par un tout jeune musicien, qui a donc vu le jour en l’an 2020. C’est étonnant cette envie de toujours créer des groupes alors qu’on a déjà, pour certains, tout un panel de projets montés et parfois en sommeil. Broyeur d’Enfance demeure donc le quatrième projet musical du nommé Zémus, avec comme je disais Witchcraft Ecstasy, un projet éponyme et Unseen Abyss. Que nous réserve donc cette nouvelle fondation? Que cache ce premier album au nom teinté d’énigme et de romantisme? La réponse, en lecture plus bas. Suspense!

La première chose qui m’avait interpellé bien avant d’écouter l’album et même d’avoir à le faire en chronique, puisque ce dernier a circulé allègrement sur les réseaux sociaux, c’était la pochette. Tellement originale pour le style de metal qui nous intéresse et tellement hors du lot que j’en étais ébahi de curiosité. Il fallait vraiment trouver l’idée de mettre le petit bonhomme de pain d’épices en mode destroy comme ça! D’aucun dirait que pour représenter un rapport à l’enfance détruite, une poupée défoncée ou un autre dessin d’enfant macabre aurait fait l’affaire. Moi je considère cette idée d’artwork comme lumineuse sur le fond! La forme est en plus de cela des plus attrayantes, avec un dessin très bien exécuté, un fond noir en impression abîmée du plus bel effet là encore et vous avez tout ce que je recherche dans une pochette! Typiquement le genre qui me fait m’arrêter chez un disquaire. Mais ce n’est pas tout. Ayant eu un exemplaire physique, je me suis attardé sur l’intérieur du CD. Et j’ai encore plus apprécié les dessins qui pour le coup ont une touche enfantine mais tellement crue. Avec ces bonshommes qui transportent toute la tristesse d’un personnage fictif, ou ses états d’âme, ou même sa méchanceté, bref. L’idée de faire cela sur un fond blanc cassé, comme une feuille de dessin renforce encore plus mon appréciation positive pour le boulot fait par un certain Funeral Tower Arts. Broyeur d’Enfance semble être un projet qui réfléchit, fait des liens intéressants et qui me parlent. Après, je vous livre mon ressenti après écoutes intégrales, je me suis de fait aperçu que le lien psychopathologique était poussé loin, et de manière cohérente. Mais d’ores et déjà, je salue bien comme il se doit ce choix de pochette qui transpire les exhalaisons de haine et de violence, d’une infinie tristesse, celle d’un enfant qui ne devrait pas connaître ces mots orduriers. Excellente pochette!

Pour la musique, pas de doute possible! C’est du black metal dépressif. Musicalement parlant, l’empreinte est évidente, avec cette teinture raw bien caractéristique, qui confère donc un son particulièrement sale et peu enclin à la fioriture. L’aspect dépressif intervient dans l’imagerie qu’on a longuement décrit plus haut mais aussi dans l’extrême mélancolie qui se dégage des riffs somme toute plutôt mélodique de ce « Suicide Sentimental« . Mais au-delà de cette apparente évidence, il résulte surtout une énorme dimension personnelle et émotionnelle qui fait tout le charme du black metal dépressif! Zémus nous balance ces riffs incisifs et tranchants comme des coups de butoir, comme des assommants états d’âme. On comprend rapidement que la musique, si roots soit-elle, se met directement et exclusivement au service de l’émotion de son maître créateur, pour nous permettre de pénétrer dans une intimité faite de relents et de détresse. Après, autant prévenir les oreilles les plus sensibles : la production est raw, bien raw. C’est toujours quelque chose qu’il vaut mieux prévenir, parce que sinon les commentaires désobligeants pleuvent. Je reviendrai dessus en bas. Quoiqu’il advienne, les six compositions de ce premier album sont froides mais mélodiques, avec même un côté old school presque punkisé qui fait plaisir! J’ai particulièrement aimé le morceau La Mélancolie du Quotidien qui fait place nette à de petites expérimentations comme du chant clair. Ce n’est pas non plus un album qui se repose sur ses lauriers, Broyeur d’Enfance expérimente, tâtonne parfois mais réussit néanmoins à produire un premier album équilibré entre la variation riffique et ambiante, et l’aspect old school du son et des passages plus énergiques. Le black metal dépressif ne tombe juste pas, par définition, dans une forme de violence extrême mais plutôt dans une lancinance qui blesse. « Suicide Sentimental« , après une première écoute donc, est un excellent album! A prendre comme il est, soit de manière crue et poétique à la fois.

Alors, comme qui dirait, la production est spéciale. Pas pour les habitués du genre black metal comme moi cependant, j’imagine ainsi qu’une certaine frange de la population metalleuse trouvera son compte. Mais voilà! Il convient de dire que le son est particulier. Sans retouche réelle et franche, quoique créditée d’un certain Déhà qui n’est pas inconnu dans le milieu black metal. « Suicide Sentimental » a donc bénéficié d’une production, ce qui est surprenant tant le black metal bien raw m’a toujours laissé pour habitude qu’il soit composé souvent « à la va-comme-je-te-pousse ». Ce qui n’est en rien une critique acerbe hein, j’adore ce genre de productions! De fait, la ou les guitares sont très présentes, la basse un peu moins mais rien d’extraordinaire, la batterie est session et gérée par le fameux Déhà et qui maitrise très bien cet instrument, ce qui permet d’apporter un regard rythmique intéressant et dont on devine qu’il y a eu une réflexion derrière. Je le dis et répète : tout one man band se doit de s’entourer d’un batteur de session, ne serait-ce que pour avoir un regard expert. Le résultat est donc cette production crade mais donnant aux compositions de l’album « Suicide Sentimental » une belle harmonie. Seule ombre au tableau et qui me déçoit énormément, c’est le chant qui est beaucoup trop en retrait. Quand on verra la qualité des textes, on ne peut qu’être déçu de ne pas assez bien l’entendre. Je plaide pour l’erreur, pas du débutant puisque le mixage est géré par un bon musicien et sonorisateur, mais une erreur vraiment dommageable pour moi. Une production globalement bonne mais dont le chant mérite qu’on revienne dessus, sérieusement. Pas mal donc!

Après trois bonnes écoutes, fluides et limpides, cet album a largement dépassé mes espérances dans la mesure où c’est l’un des rares à ma connaissance qui associe avec autant de talent l’intime et la création artistique. La musique se met pleinement au service de la tristesse de l’auteur, qui d’ailleurs usite de la première personne dans ces textes. La particularité de cet album « Suicide Sentimental » est qu’il présente un cheminement psychique qui se dirige lentement vers le chaos. Un basculement musical dans l’horreur avec des moments horribles, de courtes accalmies et le point final et fatal surtout. Broyeur d’Enfance présente un concept album personnel, cela ne fait aucun doute. Et c’est le sentiment qui domine après ces écoutes. Les compositions se suivent avec une belle fluidité, chacune a son atmosphère et permet donc de planter l’incipit, les péripéties et le stade final comme un roman noir. Il y a d’ailleurs un vrai hommage qui est rendu à la musique nommé « Metal Noir » comme la délivrance et la clairvoyance. En tout cas, l’album est superbe. Humain dans ses qualités et ses défauts, c’est une très belle pièce!

Le chant restera malheureusement mon point noir de l’album. Je trouve que la technicité est d’apparence mauvaise, et l’articulation des textes est pauvre. Les déclamations sont bien torturées, et j’aurais préféré presque des lignes de chant en onomatopées plutôt qu’une tentative de textualisation qui au final ne sert à rien puisqu’on ne comprend presque rien. Il n’est pas totalement en défaut puisque la production ne lui rend pas honneur et le met trop en retrait dans le mixage, mais franchement un effort d’articulation ne fait jamais de mal. J’aime bien cependant le côté brut, il y a par moment de vrais cris de détresse, où l’on devine que Zémus a mis toutes ses tripes dedans, rendant un brin d’authenticité dans une technique vocale inexploitable. En fait, je pense que notre camarade a préféré l’honnêteté émotionnelle à un abus de technique de chant qui aurait probablement détonné dans le mixage root. Mais ma frustration sur le chant est à la hauteur de mon adoration des textes. Voilà pourquoi je suis principalement dur avec les lignes de vocalises de « Suicide Sentimental« . Il peut largement mieux faire, largement!

Parce que quand je parle d’adoration des textes, je pèse mes mots. Je les trouve incroyablement bien écrits! On n’est pas toujours sur de la grande poésie, certes. Mais il y a une telle verdeur, une telle crudité dans ces derniers que c’en devient un indéniable point fort de l’album « Suicide Sentimental« . Il y a par moment des efforts réels de faits pour des lignes versaïques, les rendant encore plus intéressants. Mais on sent que l’auteur recherche surtout le raptus plus que le littéraire, les textes sonnent comme des jets émotionnels, une écriture instinctive que j’adore par-dessus toutes les techniques d’écriture pompeuses à souhait. Les sujets tournent autour d’une rupture sentimentale, le chagrin qui en découle est narré avec quantité d’hyperboles et de vocabulaire de la détresse psychique extrême, un basculement progressif vers l’alcool et la Folie meurtrière, une sorte d’allégeance au Metal Noir et le tout conduit à ce fameux chaos émotionnel où ce dernier tue la fille qui l’a chagriné. Le dernier morceau éponyme conclut le tout sur un appel à pénétrer dans la haine de l’auteur, et l’on devine par là tout ce qui a pu induire cet effondrement psychique. Franchement, tout est raccord dans le cheminement. La référence à l’alcool n’est pas la plus originale selon moi mais elle pue la réalité quand-même, l’alcool étant le meilleur anxiolytique et antidépresseur qui soit. Le fait de proposer un album autour d’une rupture sentimentale et d’y mettre une musique aussi dépressive, je trouve l’idée géniale. Osée de surcroit! Et cette audace, je la salue avec énormément de respect. Voilà pourquoi je trouve que les textes sont l’atout principal et prépondérant de ce premier album de Broyeur d’Enfance. Pourquoi donc y mettre un chant aussi moyen?…

Il est temps de terminer cette nouvelle chronique. Nous voilà donc en présence d’un premier album de fort belle qualité. « Suicide Sentimental » est l’œuvre d’un one man band Broyeur d’Enfance dirigé par un musicien de talent, Zémus. Proposant un album estampillé black metal dépressif avec une résonance raw, cet album ne laisse pas indifférent pour les raisons qu’il sonne comme une sorte de cheminement que l’on vit tous, soit d’un deuil, d’une rupture sentimentale, mais qui conduit son personnage ou son double musicale au meurtre sauvage. Un album franchement audacieux pour aller vers ce genre de concept, en plus de cela doté de compositions variées et old school. Gageons que ce premier album soit synonyme de continuité et de prospérité pour cet one man band qui broie du noir comme le trauma broie les héros. C’est un excellent album, qui mérite bien des choses à commencer par une forme de reconnaissance dans ce milieu underground sévère. Je serai là pour le soutenir.

Tracklist :

1. Dans le broyeur… (03:32)
2. Amour, le berceau de la haine (06:56)
3. La mélancolie du quotidien (04:16)
4. Scarifié par ton bonheur (06:17)
5. Ode à metal noir ! (03:33)
6. J’irai dégueuler ma haine sur ta tombe (04:02)
7. Suicide sentimental (08:33)

Bandcamp

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