The Devil’s Trade – The Call of the Iron Peak

Le 5 octobre 2020 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


Dávid György Makó : chants, banjo, guitares

Style:

Acoustique (ici) / Doom Folk Metal

Date de sortie:

28 aout 2020

Label:

Season of Mist

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

« Si l’on vend son âme au Diable, c’est que Dieu n’en est pas toujours acquéreur. » Robert Sabatier [mais Patrick l’a fait aussi… (Hans Aplastz)]

Le diable. Aliment de tous les fantasmes religieux, culturels et spirituels. De la chanson la plus comique à la plus dévote, il n’en demeure pas moins qu’en des temps lointains, le diable ne fascinait pas tant que cela. Beaucoup le craignait, le redoutait même et lui conférait une imagerie et une mythologie des plus noires. Je ne vous apprends rien j’imagine, je n’essaye d’ailleurs pas de faire mon maitre Capello mais si je parle du diable c’est parce qu’encore à l’heure actuelle, des groupes en ont fait leur iconographie et leurs fonds de commerce si l’on peut dire. Et oui! Encore de nos jours, le diable fait parler de lui, au même rang que Dieu, les deux étant étroitement liés bien entendu. C’est étonnant cette obsession jusque dans le metal d’un personnage tellement caricaturé et banalisé que certains comme moi ne le voient plus que comme un accessoire d’Halloween, ou de films. Quand je vois une représentation de ce qui ressemble au diable sur une pochette d’album rock ou metal, je trouve cela banal. Et je me disais qu’en choisissant le groupe The Devil’s Trade (le commerce du diable), j’aurais peut-être – je dis bien peut-être – un début de réponse.

Je dois cette nouvelle chronique à ma consœur de cœur Cassie di Carmilla qui m’a dit « tu verras c’est trop bien! » et un truc du genre « je te zute » ou « je te suze » c’est selon son humeur. Bref! Toujours est-il que j’ai découvert avec stupeur que The Devil’s Trade était un one-man band, celui d’un certain Dávid György Makó, musicien hongrois qui officie dans un groupe de sludge metal appelé HAW et dans Stereochrist qui fait dans le doom metal. La présentation intervenant après l’écoute et l’analyse de l’album, vous comprendrez pourquoi j’ai été surpris. D’autant plus surpris que j’imaginais avoir affaire avec un groupe connu, en partie parce que le nom du groupe me disait fortement quelque chose. En fait, la discographie est assez restreinte dirons-nous avec quatre albums en comptant le présent, et une réédition du premier pourtant sorti en 2014. Pour le reste, on ne sait pas grand-chose hormis que le musicien pose sur de belles photos laconiques avec son crâne chauve, sa moustache parfaitement entretenue et son banjo. C’est assez déroutant comme présentation quand on voit la perspective visuelle et auditive qu’offre le CD, et le décalage avec le pressbook qui est succinct, sinon antithétique avec la musique par son aspect normal. Un one-man band un peu en oxymore et donc vecteur de belles promesses!

Je disais que les perspectives étaient antithétiques avec les photos, ce constat est en partie dû à la pochette de l’album qui plante un décor bourré de mélancolie. On a une icône bien connue, qui n’est pas le diable pour le coup, mais la Grande Faucheuse, représentée avec un crâne de corbeau et une sorte de bâton qui fait penser un peu à ceux des bergers, ou des pèlerins. En fin de compte, il s’avère que c’est un bâton qui représente le logo de l’one-man band. La curiosité est cette dualité entre une main humaine mais cadavérique et cette aile qui servent de membres supérieurs et qui est pleine de symboliques. Pour le reste du décor, on a l’impression que ce personnage se situe dans une sorte de cabane désaffectée, avec une vue sur les montagnes et les feuilles qui volent ajoutent une touche de dépression à l’ensemble, comme si tout cela se déroulait en automne qui est une saison du déclin de la Nature, de sa mise en sommeil, de son hibernation. Il faut savoir que beaucoup de personnes souffrent de dépression que l’on appelle « saisonnière » et qui intervient principalement en automne/hiver. On pourrait donc y voir une vraie métaphore de la dépression dans ce design d’album. Il est en plus de cela très beau, ce ton gris est particulièrement bien proportionné et dosé pour donner un sentiment de désœuvrement, l’absence de couleurs étant une marque forte de la dépression. J’aime beaucoup, c’est typiquement le style d’artwork qui me fait tourner la tête dans un rayon de CD, il est donc normal que je lui donne une palme d’or! Très beau travail de choix, monsieur Dávid György Makó.

Je vais m’avancer sur ce point, mais je pense que l’on n’appréhende pas facilement un album comme The Call of the Iron Peak (l’appel du pic de fer). La première écoute est assez désarmante en fait, pour faire simple. Etant étiqueté comme une musique qui oscille entre le folk (mais attention! Pas folklorique traditionnel, plutôt musique folk) et un côté un peu « southern » comme on dit, la principale réussite intervient dans l’utilisation des instruments. Dávid György Makó étant multi-instrumentaliste, et surtout seul maitre à bord de son navire de composition, il se fait épauler uniquement dans certains de ces albums par des batteurs de session. Il me semble avoir vu sur le Bandcamp la présence de joueuses de triangle, mais je ne suis pas sûr que ce dernier soit vraiment présent dans l’album qui nous intéresse ici. Simplement, pour cet album acoustique, notre capitaine hongrois utilise principalement un banjo, et évidemment si j’ose dire, une guitare et son chant. Et c’est là une utilisation tout à fait inédite pour moi : parvenir à insuffler une telle mélancolie, une telle tristesse et un tel vague-à-l ‘âme avec un instrument que j’ai plutôt l’habitude d’entendre dans du country ou du stoner à la rigueur, et donc sur des musiques « joyeuses », j’ai été totalement subjugué, d’abord de désenchantement mais après de réel plaisir. Voilà pourquoi j’expliquais que l’on n’appréhendait pas cet album acoustique comme l’on aborderait un album plus convenu. The Call of the Iron Peak est vraiment une vraie surprise, un vent de nouveauté qui m’a balancé une bourrasque en pleine tronche et dont j’ai pu mesurer tout le talent du bonhomme. Ici, ne cherchez point de violence, de brutalité ou même de musique tirée à quatre épingles, vous avez un interprète, son instrument, sa voix et c’est tout. Un album apaisant mais troublant, qui fout la chair de poule.

Je me suis encore une fois posé une question. Vous me direz, on n’est pas à cela près mais : quand on a si peu d’instruments à boucler ensemble, n’est-ce-pas finalement plus difficile de mixer et masteriser le tout, que lorsque l’on a mille pistes et au moins cent instruments d’un coup? Les ingénieurs sons, vous avez quatre heures!
Il n’en demeure pas moins que le son jouit d’un travail d’orfèvre en studio, et ferait des jaloux dans les groupes les plus pointilleux. Ce n’est in fine pas si simple que cela de trouver la synergie ad hoc, et de pondre un son aussi beau et aussi profond qu’un accouplement entre un instrument à corde tout bête et une voix. J’avais eu l’exemple avec Witchcraft et Wacht, en voici un encore meilleur avec The Devil’s Trade. Les arrangements sont fort peu nombreux et c’est tout le charme de l’album qui nous garde un ensemble acoustique de fort belle manière sans tomber dans l’outrancière exagération des effets. A peine une petite reverb’ sur la guitare, la voix reste assez naturelle, voilà en quoi se résume le mastering de l’album. Et rien que pour cela, l’album vaut que l’on s’y attarde sans détour. Mon seul léger reproche intervient sur les trois interludes qui sont inutiles, sinon mal arrangées car peu audibles. Mais bon, cela reste un grain de sable dans le désert, c’est dérisoire.

Si l’on devait résumer la musique de The Devil’s Trade, je dirais que l’exemple le plus marquant qui m’est venu en tête est de vous représenter un album de Solstafir mais uniquement avec une guitare et un chant. Et vous avez l’album The Call of the Iron Peak qui est ainsi selon moi un album de post-rock encore plus épuré. Du reste, considérant Solstafir comme l’un des meilleurs groupes de post-rock actuels, si l’on fait fi de leur étendard commercial, j’espère que Dávid György Makó mesurera la portée de ma comparaison. Et cela offre un parfait résumé du talent de ce dernier, qui se trouve non seulement dans la richesse des pistes de l’album, mais aussi dans sa capacité à tisser un fil conducteur tout au long de l’écoute qui tient véritablement en haleine et nous fait remonter des entrailles de notre psyché toute la mélancolie que l’on refoule dans nos vies, actuelles ou antérieures. Un album qui s’écoute comme si l’on lirait un roman entre un romantisme tragique et une solitude de tous les instants. J’adore les albums qui arrivent à dérouler une histoire, avec ce génie qui consiste à garder une suite logique, une constance dans la composition qui rend les chansons presque jumelées entre elles, et malgré cela ce soupçon d’âme qui les rend toutes uniques. Chaque morceau a son histoire, mais tous contribuent à raconter la même chose et CELA, les ami(e)s, c’est ce qu’on appelle vraiment le génie artistique. Un très bon point pour moi, et qui couvre à lui tout seul tout le positif que je pense de l’album.
J’ai cependant du mal avec la classification que je vois fleurir partout, et qui s’intitule « doom folk ». Je pense qu’il s’agit d’une étiquette généralisante, puisque je n’ai trouvé aucun réel apport doom dans la musique. Après, « folk » est une étiquette assez passe-partout mais qui offre des perspectives traditionnels, or dans le présent album, le traditionnel est remplacé par l’intime, le subjectif alors là encore je suis un peu perdu. Je vais probablement m’en tenir à l’idée qu’il s’agit d’un album acoustique qui s’engouffre lentement dans le post-rock, mais j’agis en toute responsabilité. Je suis prêt à prendre des coups, allez-y!

Par contre, cela n’enlève en rien, mais alors en rien du tout, l’incroyable chant que nous livre le bien nommé Dávid György Makó. Un chant plaintif et d’une grande beauté. Comme si le protagoniste principal trouvait en la mélancolie une forme de réconfort, de sérénité. Le chant parvient à être à la fois apaisant et attristant ce qui relève d’une sacrée prouesse! Ce n’est pas le premier musicien que je sens empreint d’un réconfort dans la solitude et l’amertume de la vie, mais c’est probablement la première fois que je le ressens avec autant de force. L’autre aspect important à relever est que le chant est doublé. Alors, impossible de savoir s’il est doublé par une tierce personne ou s’il fait tout, tout seul, mais le résultat est frappant d’intensité. Les lignes de chant ne sont ni puissantes, ni posées, elles sont tout simplement présentes mais le sont avec charisme et c’est encore une preuve que l’on peut se contenter d’avoir une voix magnifique mais simple, et d’offrir un album mille fois plus riche que ses confrères perfectionnistes et outranciers. Je pense que la voix est LE argument qui doit vous convaincre, ou du moins vous parachever d’aller écouter cet album. Pour l’interprète de génie qu’il est, ce qui est un argument finement recevable.

Et les textes, enfin! Hormis celui de « Három Árva » (trois orphelins) qui est écrit en hongrois, les autres sont en anglais. Ils m’ont surtout permis de comprendre que l’album est bel et bien une histoire. Il fonctionne comme un chapitre, avec l’incipit où le décor est planté avec ce fameux Iron Peak qui semble être une sorte de repos éternel, et le personnage va progressivement se diriger vers celui-ci en passant notamment vers des étapes bien mélancoliformes : le deuil, l’errance, la souffrance, la décomposition dans son sens large (corporel, psychique, etc) et enfin l’acceptation. Cela me fait penser un peu aux étapes du deuil en psychologie : surprise, déni, colère, marchandage, dépression et acceptation. Il doit y avoir un sens caché derrière les textes qui sont bien écrits, sans non plus rafler le prix Goncourt mais soyons honnêtes, ce n’est pas le but. Le but est de nous embarquer dans une histoire, un voyage intérieur vers l’acceptation de la mélancolie comme d’un dernier lieu de repos et de bonheur. Et c’est tout ce qu’on demande. Voilà pourquoi je suis en capacité de vous dire que, parmi les innombrables points forts de l’album The Call of the Iron Peak , les textes sont largement sur le podium des préférentiels.

Je suis fort heureux de conclure cette chronique non pas, vous l’aurez compris, parce que l’album de The Devil’s Trade est une purge, mais au contraire parce qu’il est tellement magnifique que j’avais hâte de vous amener vers le point final de toute chronique : répondre à la question « alors, on l’achète ou pas? » Eh bien, non seulement l’album est à acheter, mais il est aussi et surtout un véritable roman à relire sans fin jusqu’à poncer définitivement le CD dans votre chaine hi-fi. Tout est mis au service d’un voyage mélancolique qui prend son point de départ vers une plongée dans la dépression, pour finir vers une sorte d’apogée personnelle dans la contemplation et la paix intérieure. Un album qui sonne aussi bien comme une introspection subjective que comme une rétrospection généralisante et qui doit toucher plus d’une personne. Un album donc rassembleur dans la souffrance, mais porteur d’espoir. A ne pas rater car c’est une vraie poésie dans un CD.

Tracklist :

01. The Iron Peak
02. Dead Sister
03. III
04. No Arrival
05. Expelling of the Crafty Ape
06. IIIIIIIIIIII
07. Három Árva
08. Eyes in the Fire
09. IIIIII
10. Dreams from the Rot
11. The Call of the Iron Peak

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