Line-up sur cet Album
- Hélène Ruzic : chant, piano, paroles
- Benjamin Racine : guitares, percussions, synthétiseurs, piano, bouzouki, xaphoon
- Sessions :
- Maxime Keller : basse, synthétiseurs
- David L'Huillier : batterie, percussions
Style:
Noise Rock / Musique IndustrielleDate de sortie:
10 octobre 2025Label:
Mystic Cave ProductionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 8/10
“La passion charnelle reste la plus haute forme de quête spirituelle. Elle est un aperçu d’éternité.” François Cheng
Il est rare que l’on aborde dans une chronique la question du désir dans la musique. Et pourtant ! Cette notion a hanté mes cours de philosophie pendant mes années lycée, matière que pourtant je chérissais beaucoup. Mais je crois qu’à notre époque, la définition du désir est encore quelque chose de particulièrement tabou dans notre société et a fortiori, dans notre mode de pensée. Étant dans une société ancrée dans un principe manichéen de base, où le désir a du mal à être habilité dans nos mœurs qu’il faut bien tristement définir (moi qui suis plutôt d’obédience paganique, cela m’en coute de le dire) comme étant de tradition judéo-chrétienne, il est encore difficile aujourd’hui de parler du désir dans la musique. Surtout quand il concerne un projet musical qui joue subtilement avec les interdits et les tabous les plus absolus. Cela reviendrait pour certains à se tirer une balle dans le pied quand on ambitionne de porter aux nues (c’est le cas de le dire) un projet musical autour de ce principe antinomique avec les bons conseils véreux d’un milieu artistique en perdition, mais carrément en accointance avec ce qui se cache derrière les rideaux. Alors, pour une fois, on ne va pas parler de musique metal dans cette chronique car même s’il est probable que l’on puisse considérer le metal comme étant un des styles de musiques les plus audacieux qui soient, quand on parle particulièrement des mœurs et des règles de bonne conduite, il arrive que d’autres genres abordent la question de l’interdit, du charnel et de la luxure dans sa musique. Dans son iconographie aussi et surtout même ! Mais alors, qu’est-ce-qui motive ces formations à aborder la thématique de l’interdit ? Du plaisir ? C’est cette vaste interrogation qui m’anime quand je me suis plongé dans l’écoute de l’album que je m’apprête à vous présenter. L’écoute, puis l’analyse et enfin, la rédaction de cette chronique m’ont quelque peu poussé dans mes retranchements, dans ma pensée. Je me suis effectivement demandé, au travers des émotions que la musique ci-contre m’a fait remonter, pourquoi le désir était si compliqué à accepter. Et pourquoi l’on devait potentiellement l’accepter. Loin d’être cyrénaïque, je considère à titre personnel que certains désirs doivent être assouvis, car si nous avons reçu dans notre éducation une habileté à gérer la frustration, cette dernière est régulièrement mise à mal par notre réflexe archaïque de refouler nos désirs. Il suffirait donc de faire la part entre ce qui est réalisable selon nos moyens, selon le degré d’importance pour notre bien-être et ce qui est indispensable. Voilà en quelques courtes lignes ma conception du désir, c’est très réducteur mais nous ne sommes pas là pour figurer un procédé didactique sur le sujet. En vérité, cette chronique m’a bel et bien repoussé dans mes défenses psychiques car à l’écoute de l’album « Apostles of the Flesh » du groupe -ii-, il est presque impossible de passer outre nos tabous. Vous allez comprendre pourquoi.
-ii-, ce fut d’abord un casse-tête à prononcer et n’étant pas féru des dossiers presse, j’ai mis du temps à comprendre, au travers de mes recherches, que l’on prononçait le nom du groupe « two eyes » car le « i » en anglais se prononce « aï » et cela construit un jeu de mot autour des deux yeux, « two eyes ». C’est très bien trouvé en tout cas ! J’aime ces petits casse-têtes. Bon ! Le groupe est formé de deux personnes, à savoir (soyons galants) Hélène Ruzic au chant et claviers, qui officie également dans des projets comme Daski, PRMNTR et Fournaise, tantôt au chant, tantôt à la basse, tantôt dans d’autres instrumentations ; et Benjamin Racine à la production et à la guitare ainsi que tout un tas d’instruments. Nos deux acolytes viennent de Nancy et ont crée ce projet énigmatique en 2017. Ils en sont aujourd’hui, si j’en crois mon décompte sur Bandcamp, à trois albums en comptant ce dernier et un EP, pour quelques singles en écoute. De ce que j’ai vu brièvement d’un point de vue esthétique, la curiosité va animer bon nombre d’entre nous et je crois que le visuel, dont je ne suis pourtant pas spécialement friand en musique, compte beaucoup pour attirer l’auditeur. « Apostles of the Flesh » se présente donc à nous pour une chronique qui sortira avant leur prestation à Chambéry que nous allons honorer, le boss Metalfreak et moi-même le 27 octobre prochain ! C’est parti !
Que dire de la pochette ? Elle est esthétiquement sublime. Grâce à la scénographie figée dans une belle photographie qui met en exergue la charmante Hélène Ruzic dans une posture qui peine à m’évoquer quelque chose, peut-être de l’ordre d’une offrande en sacrifice ou d’une allégorie de la pureté qui se verrait en proie à la passion, sans réelle conviction de ma part. Il est par ailleurs compliqué d’aborder la question de la féminité dans l’art sans passer potentiellement pour un obsédé… Donc je reste volontiers prudent. En revanche, les différents objets de décoration autour me font penser aux sept pêchés capitaux, là encore sans rentrer dans une conviction chevillée au corps mais je parviens à potentiellement reconnaitre la luxure, l’orgueil avec la couronne de lauriers en or, l’avarice avec les bijoux, la rose blanche symbole de pureté, d’innocence, de virginité, mais aussi de bonté, de générosité et de franchise, en opposition à la rose rouge qui symbolise la passion. Il y a aussi des références plus macabres avec le crâne humain et le poignard qui à mon avis, sont peut-être ici dans un but de prédication, et qui rejoindrait l’idée maitresse d’un « apostolat de la chair » qui conduirait vers une issue fatale que ce soit sur le plan spirituel ou tout simplement vital. Il y a aussi une dominance de la couleur rouge qui est celle du danger, de l’excitation, mais aussi du principe vital même. Le rouge peut également représenter la violence, également la sexualité, la passion, tout ce qui a trait au vivant au final. En fait, c’est exactement le type de pochette que j’adore. D’abord d’un point de vue esthétique puisque la photographie est d’une très grande qualité, et le résultat visuellement parlant est très beau. Mais surtout parce que l’abondance de symboles, qui reste ici plutôt raisonnable et équilibrée, me fait me questionner en profondeur et me pousse à aller vers l’écoute. Si je ne connaissais pas -ii- et que je me promène chez un disquaire, je peux vous assurer que ce type de pochettes me fait instantanément écouter la musique voire acheter le CD. Mon seul regret est qu’officiellement ici, -ii- fait partie de ces groupes qui ne mettent pas le nom du groupe et de l’album sur l’avant de l’artwork, et cela pour moi, c’est un vrai problème. Comment fait-on pour savoir à qui l’on a affaire ?… Cela, je ne le comprendrais jamais. Bon, passé ce détail, « Apostles of the Flesh » se pare d’une superbe pochette qui n’a rien à envier à ce qui se fait actuellement et qui plante un décor à la fois attirant et intimidant. Très beau résultat !
Je le disais, hormis quelques captations live, je ne connaissais absolument pas la musique de -ii-. Et le peu des captations que j’ai pu regarder ne m’avaient pas permis à l’époque de capter, justement, toute la quintessence des nancéens. Force est de constater qu’il aurait été dommage de passer à côté. Sur le papier, -ii- semble proposer une sorte de musique rock mais pour moi, c’est plus une sorte de musique bruitiste, industrielle voire même ritualiste sur les bords, le tout accompagnée effectivement de quelques passages rock mais qui sont plutôt sur une tonalité ambiante voire noise, en tout état de cause au service des atmosphères, les guitares servant selon moi plus de sampling que de base rythmique. On est sur des passages extrêmement ambiants, presque darkwave puisque certains passages me font penser à Ice Ages, et les morceaux évoluant selon les besoins et inspirations des protagonistes, et les variations sont nombreuses, que ce soit d’un point de vue instrumentale ou vocale, faisant de « Apostles of the Flesh » un album très disparate dans son intention. Il y a même un côté indéniablement cinématographique ou théâtral, la musique étant parfaitement en accointance avec une démarche plus de bande-son originale d’un film peut-être spirituel, vampirique ou tout simplement gothique. C’est en tout cas ce que -ii- m’inspire en première écoute. De fait, il convient de préciser que l’ensemble de l’album n’est pas forcément aisé à digérer en première intention car la constante variabilité des morceaux, la richesse des éléments industriels et noise, font que non seulement ce n’est pas tellement un album concept qui suivrait un chemin logique, mais un vrai recueil de plusieurs compositions suivant une ligne maitresse autour de ce qui a été présenté en introduction. Honnêtement, quand on voit les photos qui sont faites pendant les concerts de -ii-, on ne s’attend pas à ce type de musique du tout. Cela me donne encore plus envie d’aller voir le groupe en concert car j’imagine sans peine, à l’écoute de « Apostles of the Flesh« , la dose maximale d’immersion qu’il faut aux musiciens pour se fondre dans leur décor inconscient et nous emmener dans les méandres de leur univers apostat et charnel. Il en résulte donc qu’en première écoute, la plus spontanée de toutes, -ii- propose une musique d’une richesse rare, avec des ambiances changeantes d’un point de vue de musique industrielle, de darkwave, ou tout simplement de noise rock, et qui confère à cet « Apostles of the Flesh » un fabuleux travail de composition et une authenticité rare, énergivore pour les musiciens de ce beau projet qui nous fait vivre dans le pêché. Complexe mais stupéfiant !
Évidemment, on ne peut prétendre faire un album aussi complexe sans d’habiller d’une sonorité idoine. D’où la dimension cinématographique du projet qui transpire également via la production de « Apostles of the Flesh« . Une production qui permet de faire la part belle à la dimension noise et ambient, et c’est là que je voulais en venir concernant les instruments rock. Selon moi, la production leur permet de servir d’instruments ambiants plus que mélodiques ou rythmiques, ce qui me pousse à penser que -ii- est plus une formation qui propose des ambiances que des mélodies. Le chant sert de point central et mélodique pour couvrir habilement les parties ambiantes, comme le ferait une bande sonore. J’ai toutefois un petit regret, sans réelle incidence mais qui aurait mérité une amélioration quand même : je trouve la voix de Hélène Ruzic un poil trop en retrait et manquant un peu d’épaisseur. C’est dommage parce qu’on sent que le chant est un peu le dénominateur principal et il est quelquefois noyé dans le mixage. Bon, en soi, rien de rédhibitoire mais il aurait mérité plus de mise en avant. Pour le reste, c’est du petit lait. Magnifique.
En fin de compte, je dois reconnaître que malgré l’énorme travail de fait sur la musique, j’ai quand-même eu un peu de mal à pénétrer facilement dans leur univers musical. On en parlait brièvement sur notre discussion commune chez Soil Chronicles, j’avais parlé de « Apostles of the Flesh » comme étant un album, selon mes propres mots, « complexe mais étonnant« . Ce à quoi Metalfreak a répondu cette phrase qui peut sembler anodine mais qui à mon sens résume beaucoup de choses : « très ambitieux en effet« . Le terme « ambitieux » m’apparaît comme le terme idéal pour définir la musique de -ii- car l’ambition peut conduire à une prise de risque qui peut sembler indigeste. Ce n’est pas le cas ici, loin s’en faut ! Mais je pense que la barre a tellement été mise haute pour la composition de « Apostles of the Flesh » qu’il peut conduire l’auditoire à se perdre dans l’écoute. Outre le caractère riche et complexe de la musique, il en va surtout d’une sorte d’intimité qui manque un peu d’éclat, qui gagerait à une mise à nu plus franche pour permettre à l’auditeur que je suis d’encore davantage plonger dans l’univers musical. D’ordinaire j’adore la musique quand elle complexe voire bizarre pour certains. -ii- a donc peut-être commis un pêché : celui de l’orgueil. Et le résultat est que d’un point de vue subjectif, je ne suis pas certain d’avoir parfaitement trouvé ce que je cherchais et je ne suis pas parvenu malgré tous mes efforts à assimiler cet album comme il le vaudrait. Objectivement parlant, l’album ne souffre de quasiment aucune contestation possible, et « Apostles of the Flesh » mérite d’être écouté et adoré, passionnément même ! Pour ma part, je me réserve le concert à Chambéry pour voir si l’expérience immersive sera meilleure.
Parlons du chant désormais. J’ai lu dans une interview que pour Hélène Ruzic, ce projet était l’occasion d’entrer en voie de professionnalisation, ce qui serait évidemment génial pour elle ! La barre a donc été mise haut au niveau du chant, une douceur majoritaire qui tranche avec le caractère noise et puissamment ambiant des parties instrumentales de « Apostles of the Flesh« . Il va tout de même de quelques écarts en voix criée, ce qui me semblait transparaitre plus aisément sur les photos et captations live que j’ai vues. Cette voix doucereuse et presque enjôleuse, je l’aime beaucoup. Outre le fait indéniable que Hélène Ruzic a une voix très belle, c’est surtout son utilisation que je trouve habile pour cette musique. Le côté mélodique est prépondérant pour accompagner les instrumentations derrière, et les mélodies voix, peut-être un peu redondantes parfois, n’en sont pas moins efficaces. Cela tranche avec l’idée que l’on se faisait du côté sensuel et provocateur que l’album annonçait. En tout cas, cette apparente recherche de pureté dans la voix, conjuguée à quelques passages plus douloureux, ne me laisse pas de marbre.
Pour en finir avec cette nouvelle chronique, -ii-, à la base duo de musiciens de Nancy, propose un troisième album nommé « Apostles of the Flesh« . Fort d’une musique qui s’annonçait d’une grande richesse, les écoutes ont permis de mettre en exergue un projet qui effectivement propose des inspirations aussi complexes que foisonnantes. Subtil mélange de noise rock et de musiques plus ambiantes comme la musique industrielle ou la darkwave (selon moi), l’association entre Benjamin Racine à la production et à sa muse au chant Hélène Ruzic accouche si j’ose dire d’un résultat aussi déroutant que curieux. Un album qui est un peu trop complexe pour être pleinement assimilé et vécu avec intensité, mais qui ne manquera pas de faire lever l’oreille aux plus curieux d’entre nous. Si l’on cherchait un prétexte pour vivre avec assurance dans le pêché, pour sûr que -ii- nous tendrait la main pour nous faire gouter au fruit défendu de la passion coupable et ses richesses sonores.
Très beau projet !
Tracklist :
1. The Birth of Venus 05:55
2. Digging for Blood 05:20
3. Lotis 04:38
4. Sisyphus in Red 03:44
5. The Fountain of Helicon 06:22
6. Pearls beneath the Embers 06:04
7. L’Onde et l’Abysse 02:14
8. Where the Diamonds are Hurled 06:17
9. Sisters of the Coven 04:27
10. Under the Skin 04:49
11. When Beauty is a Crime 08:37
12. Virginia’s Mirror 06:31
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