Khôra – Ananke

Le 26 mai 2025 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • Ole : guitare, composition, batterie, paroles, chant sur 7
  • Kjetil Ytterhus : composition, claviers, samples
  • Göran Setitus : basse
  • Frédéric Gervais : chant

Style:

Black Metal Atmosphérique / Symphonique

Date de sortie:

02 mai 2025

Label:

Les Acteurs de l'Ombre Productions

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

La connaissance des mots conduit à la connaissance des choses.” Platon

Le choix de la citation n’est pas anodin. Platon a été précurseur de bons nombres de principes philosophiques et sociétaux que l’on continue encore aujourd’hui de parfois citer en exemple. Cependant, cette citation montre que bien connaître ce dont on parle est la base d’une bonne compréhension de la réalité qui nous entoure. Je suis souvent curieux de comprendre pourquoi untel groupe utilise untel mot pour s’offrir une identité artistique. Selon les styles de metal, on sait déjà à quoi s’attendre. Dans le domaine du death metal, on tombe assez facilement dans la simplicité avec des noms qui évoquent des trucs macabres, ou bien « evil » si vous ajoutez une bonne dose de doom metal. Dans le black metal en revanche, c’est beaucoup plus varié, surtout à notre époque où cette musique franchit le cap d’une musique plus élaborée, moins bestiale, pour aller sur des albums-concepts chiadés et philosophiques. Le choix des mots devient donc crucial pour se donner une identité qui à la fois va se démarquer des autres groupes, et va apporter cette touche personnelle qui fait que les émotions transparaissent plus facilement ou non. Et puis, vous avez des groupes qui maintiennent une forme d’old school dans leur approche. Avec un black metal plus froid, de la définition de la froideur comme étant soit  » un manque de sensibilité, de passion » ; « un manque d’empressement, de chaleur pour quelque chose ou quelqu’un » ou « un manque de chaleur, de vie, d’éclat, en particulier dans une œuvre littéraire ou artistique, dans une composition décorative » (Petit Robert). Dans toutes les définitions amenées ci-contre, il y a la notion de manque qui revient tout le temps. Le manque étant en lien avec l’insuffisance ou l’absence, on peut donc se demander à quel moment ces groupes de black metal, qui font de la froideur, de l’incision même, une revendication artistique, parviennent à nous faire ressentir de l’émotion. A quel moment cette musique laisse place à des ressentis chez son auditoire, mais aussi à son concepteur. Quel est la finalité première ? On parle souvent de nihilisme, de chaos pour parer le black metal, surtout à l’époque des années 90 / 2000 où cette musique a puisé son identité la plus majestueuse et légendaire qui soit. Au point que moi, qui suis pourtant né durant cette période et qui de fait ne l’a pas connue dans sa quintessence profonde, j’en sois un profond nostalgique. Pourquoi je me suis lancé dans cette diatribe introductive ? D’abord, parce que je suis féru de philosophie, et que ce type d’interrogation didactive, j’en consomme régulièrement. Ensuite et enfin, parce que la formation que je m’apprête à vous présenter porte un nom qui évoque la philosophie platonicienne qui interroge la notion de l’espace, et donc de l’existence. Il s’agit en effet de Khôra et son album sorti cette année chez les Acteurs de l’Ombre Productions et nommé « Ananke« .

J’aurais dû faire cet album en release du jour, mais un envoi tardif et l’hésitation de savoir s’il fallait de facto en faire une chronique ont retardé les choses. Mais qu’importe ! Je suis fier et honoré de présenter ce projet, d’autant que des grands noms du metal underground le jonchent de part en part. A la base, cette formation établie d’abord en Allemagne, ensuite en Irlande est née en 2012 et n’était qu’un one-man band d’un certain Ole, qui a porté son projet tout seul jusqu’en 2020 et l’apparition d’un certain Kjetil Ytterhus, musicien norvégien faisant ainsi de Khôra un projet européen, aux claviers, d’un bassiste en 2022 nommé Göran Setitus. Et non des moindres, l’arrivée au chant d’Achenar, nom de scène de Frédéric Gervais, que l’on connait bien dans le milieu underground français, musicien dans les formations Cor Serpentii, Orakle et Sa Main (moins connue mais que je recommande vivement !), et gérant du studio d’enregistrement Studio Hénosis à Poitiers, qui a produit de très belle sorties récentes comme A/Oratos, Aorlhac, Pensées Nocturnes, Moonreich, Griffon, etc. Un beau pedigree donc pour entourer ce deuxième album « Ananke« , le premier étant sorti en 2020 et portant le nom de « Timaeus« . A noter une démo en 2016, « Málenkij robot« . Voilà pour les présentations ! Je vais donc me lancer à l’assaut de cet album qui s’annonce sur le papier très prometteur.

Étant en présence d’un support physique, pour mon plus grand bonheur de collectionneur compulsif, me voilà donc prêt à évoquer le premier élément que nous regardons tous ou presque quand nous achetons un CD : la pochette ! Petite parenthèse importante, qui rejoint ce que je disais plus haut : l’ananké est un concept philosophique qui tend à définir ce qui est inévitable. On parle de nos jours de la fatalité pour comprendre plus aisément ce concept, son opposé étant le skholé, ou la liberté dans le temps. A noter que Ananké est aussi une figure allégorique du destin dans la mythologie grecque. Moi qui suis un adepte de la théorie selon laquelle il n’y a pas de hasard, autant vous dire qu’un nom comme « Ananke » me parle beaucoup. La question demeure néanmoins sur la figuration qui sert de pochette. Reprenant des codes que l’on connait avec le serpent et cette figure humanoïde qui représente soit une présence démoniaque, soit une figure ésotérique et mystique (théorie corroborée par le talisman en bas avec les symboles chamaniques qui ressemblent étrangement à une langue), on sent surtout que la pochette plante un décor qui parle plus qui ne fait réfléchir. On était comme je l’expliquais en introduction, que certains groupes perdurent dans une démarche old school. Je pense donc que Khôra a probablement voulu utiliser les symboles qui fonctionnent dans le sens où l’auditeur retrouvera l’essence de ce qui fait la musique dûment présentée ici. Après, qu’il y ait une dimension ésotérique ou religieuse, seuls les artistes le savent vraiment. Graphiquement en tout cas, la pochette est très belle ! J’aime ce style qui n’évoque pas de peinture, qui va sur du graphisme informatique pur, mais qui n’en fait pas des tonnes. Qui pose les bases et va droit au but donc ! Il convient ainsi de saluer le travail effectué par Simon Chognot, qui signe cette pochette simple mais redoutablement efficace !

J’ai vu des commentaires extrêmement élogieux avant d’avoir rédigé cette chronique. C’est le piège parce que, c’est comme quand on vous vend un blockbuster comme le film de l’année, que vous y allez les mains dans les poches pour au final vous ronger les ongles jusqu’à l’os d’affliction. Ici, ce n’est heureusement pas le cas, loin s’en faut ! Khôra tient manifestement toutes les promesses déjà engagées dans les commentaires lus à droite et à gauche. Fort d’un black metal qui frise la frontière entre l’atmosphérique et le symphonique, « Ananke » s’impose comme un album d’une richesse sonore très importante. La frontière existe parce que le groupe fait ce que j’appelle avec beaucoup de recul du black metal symphonique « raisonnable », soit pas grandiloquent. Les nappes de claviers sont là uniquement pour amener des ambiances sombres et profondes, au détriment d’une dimension plus explosive comme le ferait des groupes comme Fleshgod Apocalypse qui tartinent de parties symphoniques leur metal, pour donner de la grandeur sonore, de la grandiloquence à outrance ! Certains ont parlé de références comme Emperor, Ihsahn, et d’autres gloires des années 90 / 2000. J’avoue ne pas être totalement en phase avec ces constats, mais cela n’empêche pas de trouver la musique fortement bien construites. Les compositions vont droit au but, avec donc ces nappes de claviers qui posent des bases obscures, les riffs guitares qui ne font pas vraiment de concession, le chant bien à propos mais un brin trop absent à mon gout, le tout respire néanmoins un vrai black metal old school dans l’intention très sombre et froide que je décrivais. Difficile en l’état de percevoir quelles seraient les émotions que les parties plus atmosphériques amènent, puisque la musique est entièrement dédiée à la manifestation d’une forme de Mal. Je suis toutefois un peu étonné de ne pas avoir un apparent album-concept, les morceaux me semblent plus fonctionner comme un enchainement, un recueil de pistes, qu’un vrai album qui graviterait littéralement autour d’un sujet précis comme l’attesterait le nom « Ananke« . J’apprécie particulièrement la durée des pistes, raisonnable et suffisamment percutante pour que l’on reste un peu sur notre faim et que l’on veuille reprendre de la dope tout de suite après. En comparaison de ce que le label a sorti récemment, j’y vois un peu la même intention que Borgne par exemple. Ce black metal racé, ombragé et dur au mal, qui va à l’essentiel, soit vers le démonisme, soit vers quelque chose de beaucoup plus ensorcelé. C’est en cela que « Ananke » remplit son contrat avec une facilité déconcertante. Enfin, à moitié quand on connait le talent et la réputation de certains protagonistes du projet.

On a parlé en amont du métier que fait Frédéric Gervais, il était donc fort à parier une ou deux phalanges que le son de l’album allait être excellent. Sans suspense, c’est le cas ! Je ne m’aventurerais pas dans une pseudo analyse de la production étant donné le ponte qui va peut-être me lire, et je ne veux pas paraitre ridicule. Simplement, je trouve que la force de cet album réside justement dans l’occupation du spectre sonore. La musique occupe l’espace juste en somme, chaque instrument est à ce qu’il me semble, à sa juste place dans le mixage, le tout donne un effet effectivement très atmosphérique, plantant une ambiance vraiment pesante, incisive. Je n’ai rien à gagner à essayer d’entrer dans des considérations techniques, mais franchement la production est ce qui se fait de mieux actuellement sur la scène black metal européenne. Il y a cet aspect agressif dans le son que je comparerais volontiers à des groupes comme Mgła par exemple, et en même temps ce talent qui permet d’insérer un côté un peu planant sur certains passages, et qui ajoute donc de la richesse sonore dans des compositions déjà bien élaborées. En somme, un album très bien produit !

Maintenant, quand on écrit une chronique, nous avons une mission : celle de donner envie aux gens d’aller à la rencontre d’un album, ou l’inverse le cas échéant, si toutefois l’on conserve une honnêteté intellectuelle comme chez Soil Chronicles. Ce qui me frappe dans les différentes écoutes effectuées sur « Ananke« , c’est que l’on sent à quel point la musique qui semble pourtant bien old school dans son approche globale, se met en fait au service de quelque chose de profondément personnel et, comme son nom l’indique, philosophique. Outre l’aspect fondamentalement noir, il y a cette part insondable qui fait que l’on ignore si l’on tombe sur un ouvrage démoniaque, qui parle de la condition humaine ou encore d’une simple noirceur conceptuelle. Une chose est certaine, cet album véhicule un nombre important de parts émotives, qui fait que l’on se sent happé par une force artistique. Et tout cela avec une complicité manifeste entre les différents protagonistes qui parviennent à se rassembler dans un maelström créatif et faire cause commune pour faire naître les idées de son concepteur principal, le dénommé Ole. Le black metal a de facto cette capacité d’hypnotiser les auditeurs quand il fait avec force, authenticité et talent. Bref ! Cet album promettait monts et merveilles par le pedigree de ces têtes pensantes, le talent idoine. On a eu effectivement ce qui se rapproche de cela. Franchement je n’ai pas senti une quelconque maladresse, l’album est fluide, direct et ambiant. Tout ce qu’il faut pour que le tout soit une franche réussite. Pour un deuxième album, c’est du très très lourd dans le domaine !

Enfin, j’aime parler du chant, c’est une habitude. Je me dois d’être honnête : je n’avais pas tant accroché avec Orakle pour lequel pourtant je reconnais beaucoup de talent mais qui à mon avis sortait des albums qui passaient malheureusement en second plan de ce que j’écoutais à cette époque ; beaucoup plus avec Cor Serpentii et Sa Main. Pourtant, le chanteur est le dénominateur commun entre les deux précédents cités, et donc Khôra. En fin de compte, je suis convaincu que Khôra est le meilleur projet pour la voix d’Achernar, alias de Frédéric Gervais. D’abord parce que la profondeur de scream de ce dernier est indéniablement fait pour un black metal qui a des ingrédients atmosphériques, une autre profondeur sonore qui permet au chant d’ajouter une touche supplémentaire d’oppression et de sombritude. Ensuite parce qu’il faut le dire, « Ananke » est récent. Les techniques d’enregistrement n’étaient pas les mêmes avant, et on sent une nette différence entre le premier album d’Orakle et cet album qui jouit donc de la chronique ci-contre. Enfin, parce que j’ai envie simplement de dire que tous les gouts sont dans la Nature et qu’un projet d’un musicien peut très bien ne pas plaire, tandis qu’un autre étonnamment le peut. Le tout est une question d’alchimie, et je sens, moi qui suis très sensible à l’osmose dans les groupes de musique, que derrière Khôra, il y a cette parfaite entente artistique. Frédéric Gervais est un musicien que j’admire autant par le parcours, le talent, que par l’apport et l’influence qu’il a dans notre scène underground, et son chant ne fait pas exception. Bravo !

Pour conclure cette chronique, Khôra, projet européen au préalable one-man band suédois (résident allemand, puis irlandais) d’Ole, propose un deuxième album nommé « Ananke« . Le premier avec d’autres musiciens dont le chanteur et compositeur français Frédéric Gervais. Proposant une musique black metal avec quelques infiltrations atmosphériques voire symphoniques, cette musique plaira forcément aux amateurs de black metal old school, progéniture d’une époque qui, avec des projets aussi talentueux, continue de faire vivre sa légende. Sorti chez les Acteurs de l’Ombre Productions, c’est probablement une des meilleures pioches du label qui continue de renouveler son roster avec des groupes pas forcément français, ce qui apparait comme un très bon choix, même si l’on aime que les groupes de notre pays jouissent toujours d’une visibilité méritée. Finalement, cet album, on pourrait considérer qu’il relève justement de l’ananké : cela devait arriver ainsi. A force de cheminement, de recrues de choix, Khôra pourrait devenir une formation majeure du metal noir européen. Dommage que des perspectives de concerts soient faméliques tant la musique siérait au live. A découvrir vite !

Tracklist :

1.     Empyreal Spindle     05:18
2.     Legion of the Moirai     04:39
3.     Wrestling with the Gods     03:57
4.     In the Throes of Ascension     03:54
5.     Arcane Creation     02:33
6.     On a Starpath     04:08
7.     The Sentinel     04:01
8.     Supernal Light     04:33
9.     Crowned     06:47
10.     Q.E.D     01:19

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