Epitaphe – II

Le 27 août 2022 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • AG : batterie, flûtes, marimba
  • LB : guitares, guitare acoustique, basse, claviers analogiques, samples
  • PB : chant, saxophone

Style:

Death Metal Progressif / Expérimental

Date de sortie:

11 avril 2022

Label:

Aesthetic Death

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

Epitaphe. Inscription sur une tombe, démontrant que les vertus acquises par le trépas ont un effet rétroactif.” Ambrose Pierce

J’ai toujours aimé le concept des épitaphes. D’abord parce que certaines constituent de vraies pépites, et parfois sur le ton de l’humour quelques-unes sont restées dans la postérité comme celle du Comte de Selles (« Dieu fit Selles, Dieu défit Selles, Et aux vers mit Selles ») ou d’Alphonse Allais (« Ci-gît Allais – sans retour. »). Mais aussi parce qu’à la base, l’épitaphe est un genre littéraire qui existe depuis l’Antiquité. Ce que l’on appelait auparavant l’éloge funèbre ou l’eulogie et qui consistait en des discours rimés à la gloire d’une personne décédée, souvent dans un processus emphatique et lyrique qui était de toute beauté. La plupart des grands personnages de l’Histoire, et pas forcément les plus sympathiques, écrivaient eux-mêmes leurs éloges funèbres pour qu’elles soient lues en public à leur mort. Et en littérature un peu plus moderne, il s’agit surtout d’un procédé versaïque mais qui n’est plus tellement lu à voix haute. Vous connaissez l’adage « les paroles s’envolent, les écrits restent », qui au départ est une sorte d’avertissement. Moi, je pense que les épitaphes sont le meilleur moyen de se souvenir de quelqu’un. Le fait de divaguer dans un cimetière et de découvrir des épitaphes soit drôles comme l’étaient nommés les précédents, soit joliment écrits, permet de se souvenir inéluctablement de la personne disparue. Voilà pourquoi cela ne ne me choque pas de constater que bon nombres de groupes utilisent le vocabulaire généralement ancré aux cimetières et à la mort, et plus spécifiquement aux épitaphes. D’ailleurs, contrairement au vocabulaire général et morbide de ce qui gravite autour des cimetières, au moins l’épitaphe a-t-il un côté littéraire et potentiellement joli qui détone un peu sur tout ce qui est détourné habituellement par les groupes de metal extrême. Après, c’est normal! C’est le jeu. On est sur un registre extrême et par conséquent pour le style dûment chroniqué ce jour, particulièrement morbide et macabre. Alors pourquoi s’en priver? La curiosité de ce jour, pour cette nouvelle chronique, est que l’on va largement dépasser les frontières du « simple » épitaphe littéraire pour tomber sur une sorte de monstre hybride, déconnecté de tout sens logique et pourtant à un point de magnificence qui laisse pantois, en la personne du groupe Epitaphe (sans surprise!) et de son album nommé sobrement (pourtant) II. Croyez moi, vous n’en sortiriez pas indemne de cette écoute.

Ma première surprise a été de constater qu’ Epitaphe est un groupe bien de chez nous! De Claix, une banlieue de Grenoble! Cocoricooooo! Comme quoi, Quantum devrait parfois sortir de ses hôpitaux et de son appartement pour découvrir le vaste monde, il n’en avait jamais entendu parler avant cette chronique. Peut-être que mes camarades et amis grenoblois de Soil Chronicles connaissent le groupe, je leur demanderai. Mais en tout cas, belle petite surprise! Ensuite, ce sont les découvertes biographiques usuelles, à savoir que le groupe existe depuis 2009 et à sorti à ce jour deux albums chez le même (bon) label, soit Aesthetic Death, et une démo. La curiosité principale réside dans l’écart entre la sortie de la démo et l’année de création du groupe. Neuf années se sont écoulées avant qu’Epitaphe ne propose enfin une première ébauche de sortie. Après, l’écart entre les deux albums restent corrects, trois années qui montrent une accélération du processus composal, mais j’ai été étonné de voir autant de temps avant d’entrer dans la cour des artistes ayant au moins une galette. On pourrait évoquer toute sorte de raisons, moi je pense qu’il s’agit surtout d’un temps de latence avant de se jeter dans la grand bain dû à la jeunesse des musiciens, mais je peux me tromper. En tout cas, avec II, le groupe sort donc son deuxième album. On ne peut pas se gourer c’est déjà cela! Et on est parti pour la chronique.

La pochette est absolument MA-GNI-FIQUE! Sur le coup, j’ai eu mon réflexe de Pavlov qui consiste à râler intérieurement en mode « ohlala, encore un tableau détourné sans le nom du peintre, ils exagèrent putain! » jusqu’à ce que le grand, le puissant Metal Archives m’indique le nom de l’artiste, qui est Petri Ala-Maunus et que même s’il n’a vraisemblablement pas tant collaborer que cela avec d’autres groupes de metal (Epitaphe et un certain Vanum sont les seuls), il n’en demeure pas moins que son oeuvre n’est pas détourné. Donc mea culpa! Par contre, ma parole, qu’est-ce que le gars est bon! Il y a un fantastique jeu de couleurs entre le vert Nature de la végétation environnante et un côté feu avec cet orange et ce jaune et eau avec ce blanc qui fait penser à de l’écume qui donne une sorte de patchwork visuel et naturel absolument magnifique. Un peu déroutant parce qu’avoir cette capacité à mélanger les quatre éléments de la Nature en un seul ensemble est bluffant de réussite. Il est vrai que je n’ai pas mentionné le ciel chargé avec toujours ce jeu de couleurs et nuance entre le gris et le feu dans les nuages. Franchement, cela se passe réellement de commentaires, le tableau est incroyable. Je suis estomaqué! Du coup par curiosité je suis allé voir la pochette des autres sorties d’ Epitaphe sauf la démo et celle du groupe Vanum, simplement pour constater que non seulement elles sont toutes aussi superbes les unes que les autres, mais qu’en plus elles suivent la même suite logique de création tout en ayant une forme de richesse d’imagination qui me laisse pantois. Sur le sens précis du choix de cette pochette, je pense que le groupe laisse une part volontaire de mystères avec ce nom énigmatique de pochette, et qu’il me faudra lire les textes pour comprendre car même le nom des pistes n’éclairent pas spécialement la présence ou non d’un concept. Et le descriptif du label explique qu’il s’agit d’une expérience plus qu’un réel concept, donc en soi rien d’anormal. En tout cas, en termes d’expérience, je me suis pris une formidable baffe visuelle avec cette pochette. Probablement une des plus belles qui m’aient été donné de voir depuis longtemps. Et rien que pour cela, j’achèterais l’album II tout de suite! Seul bémol : j’aurais aimé voir le nom du groupe et de l’album apparaître quelque part sur l’artwork, encore une fois… C’est trop risqué pour les groupes que de se dérober à l’identification visuelle quand on n’est pas connu.

Mais attention, la baffothérapie n’est pas terminée. Parce que la musique d’ Epitaphe est tout autant exceptionnelle. Aussi exceptionnelle que complexe puisque sur le papier, le terme « death metal expérimental » est mentionné. Et contrairement à mes habitudes de dénoncer cette appellation qui selon moi ne veut rien dire, loin de la dénigrer je suis pour une fois plutôt d’accord, avec du recul, avec ce terme. On sent en première écoute que la base séculaire de la musique est résolument death metal, avec le côté épais et lourd qui revient, tout en ayant des incorporations mélodiques très funèbres, mais qui ont le mérite de casser la dynamique rythmique et intense que l’on a pour moitié sur les pistes de l’album II. Ce qui m’a frappé en premier reste la présence importante de la basse, qui suit habilement la guitare ou les guitares sur les parties mélodiques, au lieu de n’être qu’un appui simpliste de la batterie, et j’adore cette utilisation de la basse, que ce soit dans le death metal que dans les autres styles. Belle originalité! Une fois les parties bourrines exécutées, vous avez l’émergence de moments plus calmes, avec des expérimentations sonores et musicales au premier plan. Parfois vous avez des parties en clean qui rappellent à s’y méprendre Pink Floyd ou d’autres groupes de metal progressif comme Der Weg Einer Freiheit ou certaines pistes de Solstafir, ou des instants carrément ambiants, sans autres instruments que des samples industriels ou ambient qui sont du plus bel effet. On retrouve ce processus de composition qui commence doucement, en montée progressive avec une pause instrumentale au milieu et une fin en fondu, dans au moins deux pistes sur trois, sans compter l’introduction en clean et l’outro. A noter l’apparition surprise d’instruments qui n’ont à vrai dire rien en commun ou presque avec la base death metal, comme un marimba ou un saxophone. Voilà pourquoi la dénomination « expérimental » n’est pas trop! Ce que j’ai adoré dans cet album, outre l’ensemble instrumental qui est génial et d’un travail de composition qui frôle le génie absolu, c’est l’utilisation de claviers analogiques. Instrument que j’adore par-dessus tout, qui donne une coloration ancienne et ambiante unique depuis sa création, je trouve qu’ils apportent un réel bonus à une musique complexe mais qui fait la part belle à un processus onirique et mystique. Et l’idée de mettre des claviers analogiques reste pour moi probablement la meilleure idée pour la composition qu’Epitaphe pouvait trouver! Pour résumer cette première écoute, ce que j’ai absolument adoré reste évidemment la musique en elle-même avec ce procédé progressif qui casse la dynamique brutale du death metal bien lourd, pour amener l’auditeur vers une entrée dans des ambiances légères mais parfois oppressantes, pour un résultat qui sur le contrat ne devait pourtant par permettre une symbiose musicale, mais qui pourtant fonctionne à merveille et confirme mon idée selon laquelle, au vu de la prise de risque énorme d’Epitaphe pour faire marier deux genres de musiques qui se situent à leurs antipodes, le groupe est pétri de talent, et les musiciens sont extraordinairement bons. Quelle claque!

Grâce au label, j’ai coché un nom qui m’a immédiatement fait tilt dans la production de II : Greg Chandler. Tout simplement parce que ce mec m’offre mon inconfort le plus total en matière de production. C’est simple : soit j’adore son boulot comme pour le groupe Alkerdeel ou Cantique Lépreux, soit je déteste comme pour Lychgate ou récemment le groupe 0N0 dont j’avais exécré le son de leur album, complètement raté. Cela devient même un nom que je redoute pour mes chroniques. Donc, comme j’ai pris l’information après l’écoute de II, je suis plutôt tombé de l’armoire qu’autre chose tant la production de l’album est sublime. Outre effectivement le son typiquement lourdingue et épais du death metal sur les parties en accéléré, j’ai surtout franchement aimé les parties plus calmes, probablement plus difficiles à sonoriser même en studio, et dont le résultat dépasse l’entendement. Moi qui suis très attaché à la musique ambiante, j’ai tout de suite accroché avec le son qui découle soit des claviers analogiques, soit des samples. J’y vois même une occupation du spectre sonore étonnante, avec un death metal qui a tendance à prendre tout l’espace dédié au supportable pour les oreilles, et qui laisse toutefois une part intéressante aux passages calmes, sans pour autant que ces derniers n’aient la même occupation abusive et se veulent plus lointains. Donc on a bien une distinction entre les deux sans faire un clivage délétère, ce qui démontre bien que le gonze est capable, quand il veut, de faire des productions quasiment parfaites. Comme quoi! Je me suis d’ailleurs demandé si je ne mettrais pas ex-aequo le son de II comme l’un de ces meilleurs boulots, à ma connaissance bien entendu, avec Alkerdeel qui en plus n’évolue pas du tout dans le même registre (black sludge bien raw). En fait, je pense que c’est le problème de ce producteur : il fait trop de styles épars. Au moins maitrise-t-il le genre death metal même expérimental, puisque l’album II se pare d’un son nickel chrome, typiquement ce qu’il faut pour passer un sale moment de death metal bien bourrin. Très bonne production, même s’il m’en coute de le dire!

Après quelques écoutes supplémentaires, je pense qu’en fait le groupe a voulu effectivement bel et bien retranscrire une sorte de voyage dans ce qui s’apparente selon moi à quelque chose de spirituel. C’est un terme très vague, mais qui permet en tout cas de comprendre la musique d’Epitaphe. Avec des soubresauts de violence (car nous vivons dans un monde violent), et des moments d’accalmie, de quiétude. Je crois que c’est la raison pour laquelle la musique du groupe fonctionne aussi bien, parce qu’elle nous rappelle l’existence elle-même. Surfant donc sur des instants bestiaux et des longueurs oniriques et mystiques, on a vraisemblablement un concentré de ce qui fait la vie. Le groupe me fait d’ailleurs penser de très près à un autre groupe de Grenoble que j’adore : Barus. C’est exactement le même principe, une alternance dans un élan progressif à peine dissimulé de death metal agressif et macabre avec des instants en clean ou ambiants qui font office de paix avant une reprise terrible et redoutable de la musique extrême. C’est d’ailleurs une parfaite adéquation, si l’on part du principe que l’album II suit cette logique de représenter l’existence par un voyage musical expérimental, avec la pochette qui selon moi résume aussi le mélange d’aspérités et de beauté de la vie. C’est ce qui résumerait la musique d’Epitaphe, si tant est que cette complexité exceptionnelle puisse être résumée. Mon seul petit reproche, mais riquiqui, c’est que le concept ne soit pas aussi bien original que ne l’est la musique. Je suis convaincu, au regard du génie composal du groupe Epitaphe, qu’ils peuvent aller plus loin et nous pondre un album conceptuel extraordinaire. En tout cas, peu importe la signification de l’album II, j’adore le contenu. J’ai déjà coché les albums pour le mois prochain, magnifique découverte et groupe bourré de talents. Incroyable.

Et le chant ne fait pas exception, même si c’est le seul élément sur lequel j’aurais mis une petite réserve, mais toute petite. Ce dernier se montre plutôt varié, avec une prédominance naturelle pour le growl étant donné qu’il s’agit de la technique maîtresse du death metal en matière de chant, mais avec de petites nuances plus rares en chant clair d’abord, surtout au début de l’album, et en growl plus aigu. Pas forcément du high scream, mais plutôt selon moi du growl aigu, ce qui permet de garder cette connotation death metal tout en ne tombant pas dans un registre plus extrême encore. Après, sur les textes en anglais, et sur la rythmique, je n’ai rien à redire puisque le groupe associe ainsi la composition très expérimental et progressive avec des lignes de chant variées, une rythmique textuelle adéquate et aussi complexe, permettant donc de suivre cette ligne directive progressive qui n’offre aucune stabilité, et c’est très bien! Le seul point à améliorer selon moi reste la puissance du chant. On sent que ce dernier n’est pas tellement poussé à son paroxysme, et que le chanteur peut faire mieux. Moi, j’aurais vu un chant soit plus puissant même en growl medium ou grunt grave, soit un chant avec davantage d’effets dessus comme l’aurait fait un groupe Venomous Skeleton par exemple, avec cet effet lointain qui rajoute un aspect funéraire indéniable. Et enfin, ça c’est plus en rapport avec la qualité d’écriture des textes qui est très bonne : il faut davantage articuler son chant. Sinon, on reste sur une sorte de bouillie bien grasse qui fait plus death metal old school que réellement expérimental. C’est dommage, mais heureusement cela ne reste que des suggestions et non des reproches. Au vu de la note finale, on est loin de faire des remontrances ce soir.

Pour finir cette nouvelle chronique, je vous ai présenté Epitaphe et son album II au même titre que je me le suis présenté. Groupe de Grenoble dont je n’avais jamais eu l’écho auparavant, je me suis trouvé bien couillon de ne pas en avoir entendu parler avant tant le groupe m’a balancé une rouste et une leçon musicale fantastique. Optant pour une musique résolument death metal mais en y incorporant de nombreuses expérimentations notamment sur le plan instrumentale que composale, le groupe parvient avec ce deuxième album à nous donner une véritable claque et une piqûre de rappel d’humilité. Pétri de talent et d’imagination, cet album pourtant sans réel concept nous offre une expérience mystique et onirique en plus d’instants de bestialité et de violence monstrueux. Résultat : l’album est un hybride dantesque de violence et d’aérien, avec en prime une orientation portée sur une sorte de franchissement des limites qui payent au centuple la prise de risque énorme que le trio de compositeur a pris. Des génies, ni plus ni moins. Et l’album est une tuerie, à découvrir sans tarder.

Tracklist :

1. Sycomore 03:14
2. Celestial 19:05
3. Melancholia 18:59
4. Insignificant 18:37
5. Merging Within Nothingness 02:44

Facebook
Bandcamp
Deezer
Instagram
SoundCloud
Spotify
Twitter
YouTube

Retour en début de page

Laissez un commentaire

M'informer des réponses et commentaires sur cet article.

Markup Controls
Emoticons Smile Grin Sad Surprised Shocked Confused Cool Mad Razz Neutral Wink Lol Red Face Cry Evil Twisted Roll Exclaim Question Idea Arrow Mr Green