Kreationist – Dans l’Interminable

Le 24 novembre 2021 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • Vidi : tous les instruments, chant
  • Guest :
  • Flicka : chant

Style:

Blackened Doom Metal

Date de sortie:

26 novembre 2021

Label:

I, Voidhanger Records

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.5/10

“La douleur est l’auxiliaire de la création.” Léon Bloy

Prenons un petit moment pour parler de l’une de mes passions les moins connues, puisque je n’ai que rarement l’occasion d’en faire état dans une chronique prosaïque : la poésie. Certains le savent, je suis écrivain et j’ai à ce titre sorti un livre de poésie. Je ne compte pas m’arrêter en si bon chemin et trois autres sont en hibernation, en attendant un petit rayon de soleil pour les accueillir chaleureusement. Cette passion me vient de l’admiration d’abord que j’ai pour de nombreux poètes, innombrables. Mais aussi dans le procédé d’écriture poétique qui se rapproche à s’y méprendre à celui des paroles d’une chanson. Un style qui fait office de « premier jet » dans le sens où contrairement aux romanciers que j’admire tout autant, l’écriture est rapide, intense, et demande paradoxalement une certaine aisance de la langue et une recherche dans la phonétique. Cet exercice demeure à ce jour un style que j’affectionne car il me permet de coucher sur papier des états d’âme, des réflexions éphémères et que je souhaite alambiquer à ma guise ou en faire un effet coup de poing. Du reste, je me consacre désormais un peu moins à mes livres, mais je suis toujours aisé de voir que certains groupes ou artistes utilisent la poésie soit en hommage de quelque chose, soit en concept entier. Aussi n’est-ce pas rare, contrairement à ce que l’on s’imagine, de trouver des groupes qui mentionnent des poètes. A mon plus grand plaisir! Aussi ai-je été étonné de découvrir un album qui porte le nom d’un poème de Verlaine. Voilà pourquoi mon choix s’est dévolu ce soir sur Kreationist et « Dans l’Interminable« . Cela s’annonce bien!

Kreationist est un one-man band qui nous vient de Belgique, et dont l’unique représentant s’appellerait Vidi. Il m’aura fallu aller à la pêche aux informations pour en savoir un peu plus que des clopinettes sur Kreationist. Alors, on apprend via le Bandcamp du label que le groupe a sorti un premier EP nommé Indulgence en 2019 et que « Dans l’Interminable » constitue à ce jour le premier album. Mais ce que l’auteur ou le label c’est selon a décidé de mettre en avant, et ce n’est vraiment pas banal, ce sont les textes. Inspiré par la fin du 18ème siècle et la littérature française qui en découle, Kreationist a mis en avant des poèmes d’Arthur Rimbaud sur l’EP pour les mettre en musique. Et je vous le mets dans le mille, de quel auteur poète français s’inspire ce premier album? On est dans la continuité si j’ose dire avec Paul Verlaine. J’ai conscience que sur le papier c’est très alléchant, de se dire qu’un musicien comme Vidi puisse s’intéresser à ce point aux poèmes de notre glorieuse époque littéraire mais aussi dans sa phase la plus sombre puisque l’on se doit de rappeler toutes les turpitudes des auteurs de cette époque. Mais je suis beaucoup plus réservé sur cette idée qui pourrait être une belle coquille vide de sens… Mais par contre, je suis aussi plutôt impatient de me frotter à cet album « Dans l’Interminable » qui mélange d’apparentes subtilités musicales qui sont loin d’être évidentes. Alors c’est un challenge! Et je suis prêt à me surpasser. On y va?

Avant d’aborder cette musique qui s’annonce complexe, voici venu sur mon écran la belle, très belle pochette. Sur la symbolique, j’ai le sentiment que les trois représentations féminines au-dessus sont les trois Grâces, déesses du charme, de la beauté et de la créativité chez les Grecs. C’est finalement une forme allégorique de l’Art qui semble se pencher langoureusement et légèrement sur une âme en peine, sûrement un artiste en souffrance si l’on reste sur cette hypothèse interprétative. Le décor derrière est bucolique mais aussi rendu un peu tortueux avec cette arrivée nocturne et cette eau calme et translucide. Je trouve le décor derrière assez simple, il mériterait autre chose, un truc plus travaillé peut-être. D’autant que le style pictural sonne bon l’ancien mais aussi ce côté un peu gargarisé qui me laisse sur ma faim. Je pense que cet album qui transpire la poésie aurait mérité un travail plus métaphorique justement, une recherche plus artistique que cette sensation qu’en mettant en scène les trois Grâces, on est tout de suite un retour rapide sur ce à quoi cela va faire illusion. C’est à mon sens un choix d’artwork un peu bâclé, mais ce n’est que mon avis et je n’ai que le devant du CD. Donc un artwork très joli mais qui aurait mérité un autre regard plus filé encore. Dommage d’autant qu’il s’agit, en plus, d’un tableau connu : « Le Rêve » de Pierre Puvis de Chavannes. Choisir un tableau pour artwork, vous savez ce que j’en pense… A oublier.

Sur le papier, la musique de Kreationist était extrêmement curieuse dans sa préparation. La tambouille voulait mélanger un blackened doom metal, des éléments dark ambient, quelques incorporations post-metal sans trop que je comprenne ce que cela signifie vraiment d’ailleurs, et… Du trip-hop. Alors là, je dois vous avouer que les bras m’en sont tombés avec une telle violence que je me suis probablement foulé les côtes flottantes. Les premiers éléments passaient encore, je me frottais les mains d’extase d’ailleurs! Mais quand j’ai lu le mot « trip-hop », j’ai eu un tel lever de sourcil droit que même les plus mauvais mentalistes auraient capté mon indécision totale. Comment cette prouesse musicale aurait été possible? Je n’y croyais pas du tout… Et pourtant. ET POURTANT! Le mec l’a fait! Le mélange est énorme, monstrueux! D’abord la base principale étant résolument black metal et doom metal ensembles, la musique est donc très atmosphérique avec de vrais moments froids et agressifs et des moments plus calmes. La lourdeur n’est pas réellement le point fort de l’album et on devine que le doom metal est ici carrément transformé en spectre de froideur extrême. Mais il faut comprendre aussi qu’il y a une vraie dimension mélodique avec des riffs qui sonnent très rock voire même heavy metal, donc un metal qui n’est pas violent mais plus au service d’une ambiance générale selon les poèmes choisis. Après, j’ai peut-être décelé pourquoi l’appellation post-metal est explicitement nommée, ce sont les moments en clean avec de vraies envolées planantes et des mélodies guitares très oniriques, qui sont surtout post-rock. La dark ambient n’est en revanche pas le mot approprié pour moi, la dark ambient requiert des ambiances noires, malaisantes et surtout flippantes. Or, si samples et claviers il y a, ils sont surtout indus ou même krautrock par moment, mais pas franchement dark ambient. Bon, ce n’est pas grave non plus hein. Mais les éléments trip-hop sont incroyablement bien choisis et bien incorporés dans la musique! Vous voulez une preuve énormissime? Vous prenez la piste Il Pleure dans mon Cœur et vous allez comprendre. Cette ambiance jazzy et de breakbeat c’est tellement bluffant que j’en ai eu une sorte d’orgasme auditive, à faire un truc du style « ooooooooooooooh putain comme c’est bon!!!! » dans mon salon! Vous l’aurez compris, la musique de Kreationist en elle-même est difficile à nommer, mais tellement riche et abondante que l’on en reste béat. « Dans l’Interminable » se pare de multiples choix musicaux qui varient follement, mais avec une brillante intelligence. C’est probablement un album extraordinaire et la première écoute m’a convaincu sans sourciller. Énorme surprise! Je n’ai pas aimé Walcourt mais les autres morceaux sont époustouflants de génie.

La production me fait penser à ce chef d’œuvre absolu, du même label d’ailleurs, qu’est The Midnight Odyssey. Le black metal du one-man band australien est à peu de choses près le même que celui de Kreationist. Soit un black metal atmosphérique, majestueux et puissant, avec tout de même cette touche de froideur inhérente au genre. Et le fait de lui ajouter des tempos lents par moments lui confère une véritable efficacité. Après viennent donc tous les essais expérimentaux que Vidi maintient avec un succès phénoménal. Forcément, qui dit expérimentation dit production idoine, ou du moins qui doit assurer le coup pour ne pas tomber dans un contre-sens flagrant. Le résultat est lui aussi donc très bluffant, avec un son aérien et voltigeur, des claviers qui amènent comme dans The Midnight Odyssey cette incroyable sensation de puissance spirituelle, une batterie qui est bien mise en avant sans tomber dans l’outrancier, et le chant qui est pour ma part ma seule réserve de l’album car probablement mal mis en avant justement, trop brouillon. Mais sincèrement, d’un point de vue purement instrumental, le son est magnifique. Un modèle du genre! Le son s’écoute comme on boirait du petit lait, avec délectation et extase à en faire frémir les Dieux de leur ambroisie insipide. Magnifique.

La musique comble largement la lacune de l’artwork qui était d’une simplicité un peu regrettable. Franchement Vidi est un compositeur incroyable. J’adore absolument tous les morceaux de l’album « Dans l’Interminable » sauf Walcourt un peu trop lent, je suis presque à me demander si je ne vais pas ériger ce premier album au rang de futur chef d’œuvre de ma collection de CD. La musique associe tout ce que j’aime de prime abord avec un blackened doom metal mélangé à des atmosphères grandiloquentes et poétiques, aventureuses même! Rien que pour cela j’adore cet album, mais parvenir comme cela, l’air de rien et humblement, à ajouter du trip-hop et des ambiances plus indus, c’est tout simplement extraordinaire! Bluffant! Je suis intimement persuadé que Kreationist est comme son nom l’indique l’ouvrage absolu d’un créationniste, un vrai. Le musicien qui sait tout faire ou presque et qui met toutes ses tripes et ses états d’âme à genoux pour la musique, et nous permettre de vivre non seulement cet instant d’intimité ultime, mais aussi de le comprendre. Et rien que pour cela, chapeau bas! Probablement l’un de mes coups de cœur de l’année est en marche ce soir.

Oui mais voilà… Le tableau n’est hélas pas tout rose. Parce que le chant me pose un sérieux problème. Quand on veut prononcer de la poésie, on se doit de le faire par déclamation, ou du moins avec un soin tout porté sur les figures de style. Or, plusieurs fois, notre ami Vidi a prononcé les vers comme des bribes de phrases qui n’ont rien à voir entre elles. Normalement par exemple, à la césure suivante sur Mandoline : « Et c’est Damis qui pour mainte / Cruelle fait maint vers tendre. », normalement on ne prononce jamais la phrase comme cela. Il faut marquer la césure, et le chant la laisse trainer. Que des exemples comme cela qui, pour l’amoureux de poésie que je suis et accessoirement écrivain poète, me posent de gros soucis. Et ce chant très saccadé, redondant sur la rythmique et trop scolaire, cela m’a vite blasé. C’est audacieux de se revendiquer comme étant un amoureux de la période dûment citée, encore faut-il savoir être crédible, et manifestement sur le chant, c’est pratiquement rédhibitoire. Sur la technique, c’est pareil. On a un blackened doom metal assumé, le chant ne suit pas derrière. On dirait une espèce de chant soit alcoolisé, soit le mec nous fait croire qu’il vit une forme de transe quand il chante, mais avec un tel mauvais jeu d’acteur qu’on se prête à rire. Personnellement, je n’ai pas ri. J’ai largement préféré les moments instrumentaux, et entendre Verlaine se faire saccager rythmiquement parlant et dans une intention tellement mal feintée que c’en est ridicule, je crois qu’à l’avenir je ferai un déni de chant sur « Dans l’Interminable« . Si j’ai un conseil bienveillant à donner, et si tu me lis mon cher Vidi, revois en profondeur tout ton chant. Sur la technique tu peux largement trouver mieux, et assurer un vrai chant saturé en high scream ou en growl medium par exemple. Sur la lecture versaïque, il faut sortir de ce registre scolaire et étudier la poésie, ne pas se contenter de la lire bêtement. Et tu y gagneras! Crois-moi. Parce que là, plus perfectible, tu meurs. Mention spéciale à Flicka qui réveille un peu l’ensemble vocal mais de manière trop éphémère, malheureusement.

J’ai enfin un autre souci, beaucoup moins grave mais que je tiens à souligner. Comme je disais, j’apprécie les hommages rendus aux poètes d’antan en reprenant des extraits ou des poèmes entiers. Mais en faire tout un album, je trouve que si sur le papier c’est très beau et digne d’intérêt, cela relève quand-même de l’appropriation abusive. Je pense que c’est en cela, en se faisant cette réflexion, que j’ai compris pourquoi le chant ne colle pas du tout avec le reste. Parce que s’approprier un poème sans en saisir le sens ou simplement par souci didactique, cela s’entend tout de suite. D’où peut-être mon scepticisme quant à la viabilité d’un tel projet musical comme Kreationist. Pour mon plus grand malheur puisque la musique est superbe. Mais il va falloir réfléchir à développer d’autres idées conceptuelles je le crains, sinon cela va vite s’entendre que l’on tombe dans le piège de l’appropriation.

C’est malheureux de finir sur une mauvaise note cette chronique mais cela n’occulte en rien mon constat général qui est extrêmement positif. Kreationist a signé avec son premier album « Dans l’Interminable » l’une de mes plus grosses sensations de surprise de cette année qui s’achève bientôt. La signature chez le label I, Voidhanger Records est déjà une assurance d’avoir un album de qualité et surtout très expérimental, alors autant vous dire que dans le cas précis, toutes les plus grandes promesses du label étaient au rendez-vous! Un blackened doom metal enrobé avec volupté de nombreuses expérimentation ambiantes et même trip-hop totalement ubuesques, le tout pour mettre en musique de la poésie française aussi géniale que Verlaine, c’est incontestablement un album extraordinaire! Maintenant, ce choix d’artwork un peu simpliste et précipité, et ce chant tellement aux antipodes du génie musical qui incombe aux instrumentations me forcent hélas à reculer la note finale, mais je suis convaincu que la donne peut être changée. J’ai tout de même comparé Kreationist à The Midnight Odyssey qui est l’un de mes groupes coups de cœur ad vita eternam, il ne manque pas grand-chose pour rattraper le retard ce qui est déjà énorme. « Dans l’Interminable » est vraiment un album magnifique, exceptionnel. A écouter sans modération!

Tracklist :

1. Mandoline
2. Il Pleure Dans Mon Cœur
3. Colloque Sentimental
4. Walcourt
5. Interlude
6. Extase Langoureuse
7. La Bonne Chanson XI
8. Soleils Couchants
9. Dans L’Interminable

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