Vociferian – L’os qui germe

Le 3 mars 2024 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


Lord Genocide - Guitares, Basse, Chant. Session : Yann Van Ejik - Batterie.

Style:

Blackened Doom Sludge Metal

Date de sortie:

25 mai 2023

Label:

Meuse Music Records

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.5/10

 

« Les loups dévorent les agneaux. La douleur est tout ce que le faible peut opposer à la volonté. L’espoir de susciter sa pitié. » Fabrice Colin
Plus puissante encore, et citation qui résume la relation que je peux entretenir avec ce que je me représente comme de potentielles divinités, c’est celle de Gilbert Chesterton dont je recommande la lecture. Ouvrage un peu difficile à lire, difficile également à assimiler, mais qui s’avère être d’une précieuse aide quand vous vous interrogez comme moi sur la condition humaine. « Assurément il existe un culte du héros plus ancien et meilleur que celui-ci. Mais l’ancien héros était un être qui, comme Achille, était plus humain que l’humanité elle-même. Le surhomme de Nietzsche est froid et sans amis. Achille est si éperdument épris du sien qu’il immole des armées dans l’agonie de son deuil. Le triste César de M. Bernard Shaw s’écrit dans son orgueil désolé : « Qui n’a jamais connu l’espoir ne peut jamais désespérer. » L’Homme-Dieu d’autrefois répond du haut de la montagne tragique : « Y eut-il jamais une douleur semblable à la mienne ? » Un grand homme n’est pas un homme si fort qu’il sente moins que les autres hommes ; c’est un homme si fort qu’il sent davantage. Et, quand Nietzsche dit : « Je vous donne un nouveau commandement : soyez durs », il dit en réalité : « je vous donne un nouveau commandement : soyez morts. » La sensibilité est la définition de la vie. » J’aimerais par ce biais faire passer un message à l’auteur de cet album qui vaut aujourd’hui une chronique. J’aimerais lui dire que la sensibilité de l’artiste est sa meilleure arme pour vivre, pour s’en sortir. Qu’elle peut être aussi son pire ennemi s’il ne parvient pas à lui donner une importance artistique, ou existentielle. On a coutume de dire aux personnes qui ont une sensibilité exacerbée qu’elles peuvent retourner le poignard du seppuku non pas pour s’éventrer soi-même, mais pour diriger le chemin. Moi qui suis aussi, d’une manière moindre, un sensible, moi qui jouit d’un cadeau inestimable qu’est l’empathie, je ne suis jamais insensible aux ouvrages qui témoignent en fait d’une expression intérieure qui ne demande qu’à s’extérioriser. On reconnait par ailleurs plus facilement, soit par la brutalité d’un album soit, à l’inverse, par le soin alambiqué qui lui est prodigué, quelle authenticité se situe derrière. C’est en cela que j’aime les groupes estampillés péjorativement parfois « raw », parce qu’au moins, en montant à cru le cheval de la composition, on ressent bien plus intensément les émotions. Le metal moderne en lui-même, en ce sens là, me pose souci. Mais des projets comme Vociferian, et son album nommé « L’Os qui Germe« , forcément ! Je ne pouvais pas rester insensible.

D’autant que la démarche de cette chronique est totalement fortuite. A aucun moment le fondateur et seul maître à bord de Vociferian, nommé Lord Genocide, ne nous a demandé ouvertement (à ma connaissance tout du moins) de faire la chronique. La suggestion vient directement de ma chérie, qui a eu manifestement un coup de cœur pour ce projet dont j’avais déjà beaucoup entendu parler sur les réseaux sociaux. Mais ma stupidité légendaire fait qu’au plus on me parle d’un groupe, au moins je l’écoute… Bref. Vociferian est le projet d’un multi-instrumentiste français vivant en Belgique, et qui a fondé son one-man band depuis… 1998 ! Quand on sait que j’avais huit ans, cela me pique pas mal. Le premier album sortira en 2005 pour aboutir finalement à sept albums en comptant ce dernier. Je ne vous compte même pas tous les singles, les trois EPs, la compilation et les deux splits avec une belle fournée de groupes, mais on devine aisément que notre camarade est très prolifique, même si les albums demeurent parfois très espacés les uns des autres. Je me trompe peut-être mais on sent que si ces derniers sont aussi éloignés en termes de temporalité, c’est probablement parce que la création d’un album est concomitante chez Lord Genocide avec son état psychique. Mais ce n’est qu’une hypothèse ! Quoiqu’il en soit, en 2023, « L’Os qui Germe » est arrivé et c’est de celui-ci dont on va causer ce jour.

Pour ce qui est de la pochette, je ne peux que la trouver belle étant donné que la photographie en noir et blanc rappelle irrémédiablement des souvenirs enfouis. Ou en tout cas, rappelle en filigrane une profonde nostalgie. J’ai eu envie de creuser davantage la symbolique, dans un premier temps, de la photographie en noir et blanc, qui consiste à s’affranchir des couleurs qui parfois détournent trop l’attention, pour ne rester qu’à l’essentiel : le souvenir, les émotions. Bref ! La nostalgie quoi. Et connaissant un peu l’orientation musicale de Vociferian, qui porte bien son nom, et ce qu’il met personnellement dans sa musique, je ne suis pas étonné de la consonance triste de cette photographie qui fige une situation qui rappelle soit une passation d’un carnet par une personne âgée (transmission d’un héritage, d’un souvenir), soit d’une personne en prostration, en train de tenir fermement comme un mantra ce fameux carnet comme pour se rassurer, ou se remémorer intensément des souvenirs. Il serait donc question de nostalgie et souvenir ? D’héritage ? Cela coïncide par ailleurs beaucoup avec la symbolique de l’os, rapportée inconsciemment ou pas par le nom de l’album, « L’Os qui Germe« . Dans un souci de ne pas paraphraser un auteur, je vous renvoie brièvement à l’auteur Thibault Fortunet, qui avait servi de support pour mon mémoire infirmier, et qui comparait la symbolique de l’os aux pathologies psychosomatiques. Voici un exemple de symbolique potentielle : « Dans son représenté symbolique, l’os renvoie à ce qui reste de nous après notre mort. Il est comme un héritage que nous laissons aux générations futures. Une problématique lytique de l’os peut témoigner d’un besoin ou d’un désir de disparaître, de ne pas être vu ou de vouloir se cacher. Une hypercalcification peut venir exprimer l’inverse, à savoir un besoin d’être vu, de ne pas être oublié et d’être plus fort dans la tonalité correspondant à l’os touché. » L’os serait ainsi, d’une certaine manière, un souvenir, et l’idée de le faire germer me semble être une belle manière de parler de renouveau. L’idée de la racine symbolise aussi le souvenir, le besoin de revenir au commencement des choses, et la germination constitue la naissance. Peut-être donc que « L’Os qui Germe » est un album plein de nostalgie et de tristesse, mais qui amène son auteur et l’auditeur vers un espoir, une renaissance. C’est mon interprétation. Et tout cela pour dire, que la pochette me plaît beaucoup. Si elle me fait déblatérer autant, c’est que le contrat est largement rempli. Beau boulot, l’ami !

Alors, vous allez me dire, quelle musique suffirait à montrer autant d’émotions ? Vociferian nous propose un album en tout cas très complexe, mais très très bien composé. Aux premiers abords on distingue un registre black metal, mais étonnamment, rapidement, le musicien incorpore des sonorités que je situerais beaucoup plus sur une sorte de doom sludge metal. Je pense que si l’on devait donner une appellation claire et précise, je partirais sur du blackened doom sludge metal. Après, la complexité composale fait qu’il y a manifestement beaucoup d’autres influences, et que Lord Genocide s’imprègne de ses diverses écoutes et références pour donner vie à ses émotions. Définir simplement, et même si ce fut le cas par le passé, la musique de Vociferian par du black metal me semble être une grossière erreur, puisque la musique jouit d’un son caractéristique du sludge metal, avec finalement une rapidité peu évidente qui rappelle le doom metal, mais avec les dissonances typiques du black metal avec les guitares, et les courtes légères accélérations en blast beat, on peut quand-même parler d’éléments black metal. Maintenant, il convient de préciser que j’ai toujours adoré le doom sludge metal dans sa capacité à retranscrire précisément la noirceur. La noirceur d’âme dans certains cas, comme le ferait un Varanak ou un The Subterraen pour la dimension blackened doom sludge metal. En fait, peu importe quelque part le style. Ce qui compte, c’est l’intensité qui est mise dans la musique de Vociferian. Véritable ode à la détresse psychique et la souffrance, sorte de porte-drapeau encore trop discret de la cause dépressive, la musique est incroyablement prenante et tord les tripes. La durée impressionnantes des deux principales pistes y jouent pour beaucoup puisqu’il y a probablement une part de recherche d’endormir, sinon d’hypnotiser l’auditeur, pour l’emporter dans ce tsunami dissonant de marasme. Mention spéciale à la dernière piste en acoustique qui est superbe et qui finit en beauté cet album, sur une note peut-être si j’ose dire un peu plus subtile. En fin de compte, la musique de « L’Os qui Germe » se vit. Elle se vit littéralement et c’est tout le paradoxe de l’intention musicale plutôt centrée sur une introspection tortueuse et qui part de très loin surtout. Cet album ne sonne pas le glas de la souffrance de son compositeur, mais fonctionne manifestement comme une sorte de parenthèse enchantée, ou en tout cas un peu moins dramatique. La musique comme un exutoire prend ici tout son sens, et le style utilisé par Vociferian ne peut que tourmenter l’empathie que nous avons tous. C’est un album riche et puissant, superbe ouvrage en première écoute.

La production est le seul petit sujet d’interrogation pour moi. Elle se tient sur un tout petit détail, rien de méchant du tout, attention ! Sur l’aspect positif de cette dernière, il est évident que le son amené par la musique ne m’a pas du tout surpris tant le soin dans la composition ne pouvait que sous-entendre une belle production. Le côté boueux des guitares et la présence importante de la basse m’ont instinctivement emmené à penser la musique de « L’Os qui Germe » comme étant sur une base sludge metal. La lenteur et la lourdeur qui demeurent somme toute plutôt tranquilles évoquent aussi le doom metal mais sur un format peu exagéré, discret. La vitesse n’étant pas non plus d’une grande rigueur, je pense que l’on se situe sur un entre-deux intéressant et déroutant. S’agissant toutefois des jeux d’accords sur les guitares, particulièrement dissonants, on a d’autres ingrédients opportuns sur le black metal. La batterie n’est pas programmée et c’est tant mieux, étant donné que j’ai toujours préféré l’apport d’un vrai batteur dans un projet unicéphale, je ne peux que me réjouir de la démarche assumée ici. Alors Quantum ? Il est où le petit point d’interrogation ? Eh bien, tout simplement sur le placement du chant dans le mixage. C’est sûrement un peu fait exprès tant le chant est un véritable atout majeur dans la composition, mais je le trouve simplement un peu trop en avant. Ayant tendance par de courts moments à étouffer les instruments, heureusement ce n’est pas le cas non plus. Voilà. C’était ma seule petite bizarrerie, je suis un peu tatillon sur les bords parce que tout le reste ne souffre d’aucune contestation possible. Dans le style un peu hybride proposé par Vociferian, c’est même plutôt une belle, très belle surprise que le rendu final !

Je dois avouer que son auteur m’avait confessé la démarche derrière son projet. Ce n’est donc pas un secret si j’évoquais les émotions et la musique comme un réel exutoire. Simplement, je suis franc : je ne m’attendais pas à une telle intensité. D’ordinaire quand une piste dure longtemps comme dans le cas de « L’Os qui Germe« , je suis très souvent obligé de faire des pauses dans les écoutes, et très peu de groupes peuvent se targuer de ne pas m’obliger ces pauses. Vociferian en fait partie, avec une incroyable capacité à emporter son auditoire. Je pense que je vais paraître dithyrambique, mais un album comme « L’Os qui Germe » est un exemple parfait de ce qu’on l’est en droit d’attendre d’un album de musique en général. De l’émotion. On n’est pas forcé de vivre avec autant d’intensité les choses, mais quand on écoute un album, peu importe le style d’ailleurs, on se doit de ressentir des émotions. Je fais une comparaison un peu osée, je l’assume, mais c’est ce que je retrouve par exemple dans les musiques de Stromaé, surtout le dernier album qu’il a composé pendant sa pathologie psychiatrique déclarée, ou tout du moins son mal-être. Je ne vois pas comment l’on peut, quand on se vante d’écouter de la musique, ne pas rechercher d’émotions. C’est impossible ! Et j’allais dire que si l’on se met à tomber dans un transfert, c’est que la mission est remplie. On sait donc que Vociferian est un projet qui se veut avant tout intimiste et propose une mise à nu courageuse, audacieuse et authentique. Inutile donc de chercher un autre motif, si ce n’est la qualité mais comme je l’ai décrit plus haut, elle est au rendez-vous. Alors, il faut absolument se procurer cet album magnifique qu’est « L’Os qui Germe« . C’est un impératif pour donner une vitrine qu’il mérite à son créateur, car c’est tout à fait ce que l’on attend de la musique.

Et que dire du chant. Sur une technique sludgienne bien marquée, avec des hurlements, des… Vociférations, réellement. Et c’est là encore une touche très importante pour rendre ce blackened doom sludge metal encore plus vivant si j’ose dire. On sent qu’il n’y a eu que très peu de retouches et c’est une belle prise de risque, que je trouve non seulement payante mais en plus opportune. L’idée de rendre la musique des plus authentiques ne pouvait que passer par une sorte, à un moment donné, de prise de risque dans un élément ou plusieurs de la composition de l’album. Ici, manifestement, dans un souci d’être raccord probablement avec le nom du projet qui est très fort, le chant accompagne avec brio l’ensemble. Ce n’est surement pas évident d’arriver à faire vivre les émotions comme cela, surtout quand on se retrouve face à un micro statique et un mur noir. Mais la souffrance est telle qu’il ne lui faut pas grand-chose pour exploser au grand jour comme un volcan resté trop longtemps silencieux et discret. Rien à dire de plus sur le chant tant il est excellent.

Pour conclure la chronique, Vociferian propose un dernier album appelé « L’Os qui Germe« . Septième sortie d’un projet qui existe depuis longtemps, et qui traduit avec beaucoup de justesse à quel point la musique fonctionne ici comme un exutoire total. Proposant, en tout cas pour cette sortie-ci, une sorte de blackened doom sludge metal, sinon plus facilement étiqueté black metal, j’allais dire que la nomination hypothétique n’importe que très peu ici. Ce qui compte, c’est que Lord Genocide qui demeure à ce jour le seul musicien de ce projet, continue de prendre la mer et de mener sa barque quand la dépression prend trop de place. La manière de nous faire vivre sa tristesse profonde et son désespoir, dans un élan vital, ne peut que me toucher intensément. L’idée ici n’est pas de savoir si la musique est bien construite ou pas, l’idée est surtout de savoir si cette dernière va le sauver, même temporairement tant on sait que la souffrance peut être insidieuse. Et clairement, « L’Os qui Germe » est un ouvrage qui mérite d’être vécu, telle une expérience collective sous l’influence de l’inspiration de son créateur. C’est un très bon album, vraiment. A vivre encore et encore !

 

Tracklist :

1. Écorce des astres [Li neûre poye] (15:39)
2. De nacre se sacre le temps [Fiv’lène] (14:03)
3. L’homme-île (2:52)

 

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