Les Ramoneurs de Menhirs – Interview

Le 31 décembre 2016 posté par Metalfreak

Intervieweuse : Excalibur
Interviewé : Loran (Guitares)
Photos : Val Kyrie

 

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(Advertising aux lecteurs : une interview avec Loran, c’est forcément complètement barré, ultra riche, et super dur à mettre en forme parce-que tout le monde part dans tous les sens, y compris moi !….)

  • Vous êtes des habitués de la scène limougeaude, vous êtes revenus pas mal de fois depuis votre concert en 2012 en première partie de Tagada Jones.

Un truc, d’abord. Je trouve ça bien que des gens comme toi fassent les reports des concerts en assistant aux concerts. C’est mieux que ce qu’il se passe dans la grande presse où les mecs font leur report sans assister au concert. Ils arrivent, ils viennent à la balance, et hop, ils te pondent un article… J’aime bien la presse alternative pour ça.
Pour revenir au Festival, c’est toujours la même l’équipe qui organise le Festival depuis 25 ans (Exécution Management), et ils sont toujours aussi sympas. Le lieu change de la salle de John Lennon qui était plus intime. Ici, c’est un centre culturel donc c’est plus spacieux. Mais justement ! Il faut créer l’intimité dans cet espace, le prendre, se l’approprier. Ces lieux là sont faits pour ça, ils sont financés par les impôts et les taxes que tout le monde paie, il faut les utiliser. En plus, le son ici est génial.

 

  • Question curieuse, qui n’a rien à voir avec le festival…. Pourquoi « Loran » orthographié comme ça ? c’est de quelle origine ?

Tu vas rire… Je suis né en 1964. Et à l’époque l’échographie, ça n’existait pas…. Et mon père, grand « chaman », avait visualisé que je serai une fille ! Et il voulait que je m’appelle Anne-Laure… Du coup je pense à lui pendant les concerts : je porte des jupes et je m’appelle Loran…

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  • Oui, en fait il y a juste un bout de chromosome qui est parti en cours de route…. Tu es passé du X au Y….

On a ce qu’on mérite ! Attention, n’interprète pas mal ce que je dis… Je ne fais aucune échelle de valeur entre les hommes et les femmes. Justement, ce qui me plait dans le punk rock, c’est tout ce côté androgyne.

 

  • D’accord, moi je pensais que ton nom avait peut-être quelque chose à voir avec la Bretagne…C’est une région à laquelle tu es très lié ?

Je tiens à dire une chose : la Bretagne n’est pas une région. Ça c’est que les jacobins et l’administration nous mettent dans le crâne. Moi je dis que la Bretagne est un pays. Et dans ce pays, il y a plein de régions. Regarde, nous on chante en breton vannetais. On ne chante ni en breton tregorrois, ni en léonard, ni en bigoudin…. Je dis que c’est un pays car elle a un drapeau, le gwenadu (qui veut dire en breton « blanc et noir ») et que ce drapeau ne représente aucune oppression sur aucun peuple. Contrairement au drapeau français qui pue le sang et la colonie.

 

  • Pourquoi chantez-vous spécialement en vannetais ?

C’est lié à l’historique du groupe, qui a été fondé avec un chanteur vannetais. Personnellement, je ne suis pas breton, même si j’y ai vécu après. Moi, je suis issu d’une famille de réfugiés grecs. Ma grand-mère a réussi à fuir avec le peu d’affaires qu’elle avait, et un enfant dans chaque main, et mon père dans son ventre. Ils ont atterri du côté de Reims. Puis on a vécu en banlieue de Paris quand j’étais petit, et c’est là où je me suis pris le punk rock en pleine gueule, à 13 ans, en 1977, et que ma vie a changé…

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  • Quand est-ce que c’était exactement ?

Ça a commencé avant le punk rock. J’avais 12 ans. J’étais avec mon meilleur pote, et on a décidé alors qu’on n’avait ni billet, ni d’argent pour en prendre, d’essayer de voir le concert de Patti Smith en 1976. A l’époque, c’était au Pavillon de Pantin. A cette époque, c’était les Hells Angels et KCP qui faisaient le service d’ordre… A 12 ans, mon pote et moi, on était super impressionnés…On se demandait comment on allait faire pour rentrer avec ces grands trolls à l’entrée ! Et on s’est rendu compte d’un truc, c’est qu’à 12 ans, on est petit, et qu’on ne nous voit pas…on ne nous calcule pas ! Du coup on est passé comme ça… Et là, j’ai halluciné.
C’est là que j’ai vu en première partie Marie et les Garçons, qui est un des premiers groupes punks parisiens, avec une fille à la batterie… Et après Patti Smith arrive…Et là, bon, je te dis comment je l’ai ressenti à 12 ans. Mais Patti Smith m’a scotché. Direct ! Une grande femme. Moi je n’ai même pas vu une femme, j’ai visualisé comme un insecte, immense, qui lançait un fluide positif sur les gens. Et j’ai vu des trucs à ce concert, qu’on ne pourrait même pas imaginer en 2016. Pour te dire à quel point on a régressé…. J’ai vu des gens qui se déshabillaient, et qui finissaient tous nus à ce concert ! Il n’y avait aucune embrouille, c’était naturel.
T’imagines, moi à 12 ans, j’arrive là-dedans. J’ai débarqué sur une autre planète ! C’est là que j’ai fumé mon premier joint, parce que ça tournait de partout… J’ai tiré une taffe et j’ai toussé pendant ¼ heure…. C’était surréaliste. Et c’est ça la vraie vie. Ce n’est pas ce qu’on nous dit qu’elle est !
Un an après, le punk rock arrive…. Vu qu’on était la génération radio, j’écoutais God save the Queen des Sex Pistols, qui passe dans l’émission Pogo, sur Europe 1…

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  • Europe 1 qui passait des émissions de punk ! Oui, on a vraiment beaucoup régressé….

Oui, vachement ! ça passait tous les vendredis soirs… Mais tu sais, il y avait aussi des émissions à la télé… Je me souviens de Blue Jean, en 1978, où est passée toute la scène punk rock. Et c’est donc à 13 ans, en 1977, que j’ai fait mon premier groupe : Cadenas Rock. Et je n’ai pas décroché de la musique jusqu’à aujourd’hui…
Il faut se remettre dans le contexte de 77 : Patti Smith, les Sex Pistols…. Et c’est un truc énorme ! Chez nous, c’était l’époque de Claude François ! Là, t’as un son de malade qui arrive, et tu te dis « ouf ! il y a une alternative à Cloclo ! »
Pour moi, le punk rock, ça a été cette espèce de grande ouverture. Une sorte d’action directe artistique. D’ailleurs, c’était au moment de la Bande à Bader, d’Action Directe, des Brigades rouges, Mesrines, etc… ça m’a beaucoup impressionné, mais je suis contre la violence. Je trouve que violenter des gens qui ne sont pas d’accord avec soi, c’est du fascisme. Je suis pour la confrontation, pour le débat. Et j’ai trouvé dans le punk rock, dans son énergie, le moyen de l’exprimer.

 

  • Du coup, tu as été vachement influencé par la scène punk anglaise.

Oui, d’ailleurs je suis parti en 79 en Angleterre. Et c’est là que j’ai découvert ce qu’on appelle l’Anarcho punk. Tu avais les Sex Pistols, les Clash, tous les groupes majeurs, qui ont énormément tourné et fait de fric. Et puis tu avais toute la scène alternative, avec leurs propres salles d’enregistrement, leurs propres labels, qui s’auto-distribue dans les concerts et les lieux alternatifs, qui joue dans des squats et des lieux autogérés… Par exemple, prends le groupe Crass. Ils m’ont hyper influencé. J’ai vu tout le côté politique du punk rock. C’est là que je suis devenu vraiment punk.
Mais après, j’ai été vachement influencé par toute la scène punk française : Metal Urbain, Marie et les Garçons, Taxi Girl à ses débuts… Il y a beaucoup de groupes.
Pour moi, les Bérus, c’est la 3ème génération du punk français. Après Metal Urbain et Oberkampf. Et les Bérus ont tout remis à plat.

 

  • Tu parlais du côté politique très peignant dans les groupes de punk..

Oui, bien sûr, il y a un côté libertaire. Pour moi le punk, c’est une continuité du mouvement hippie. Pleins de gens les mettent en opposition, et il y a eu des morceaux que je n’ai pas du tout aimé, genre « Kill the hippies ». Alors que quand même, les hippies, c’est des gens qui ont vu le système capitaliste débarquer, qui sont partis vivre comme les amérindiens en tipi, ils sont partis vivre en communauté… Cette génération a été le premier frein au capitalisme !

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  • Du coup, toi, depuis les Bérus, ça te fait 40 ans de carrière en tant que guitariste…Sacrée carrière !

Oui… ça fait 39 ans que je joue de la guitare électrique… Mais je considère que je suis un piètre guitariste. En principe, quand tu fais quelque chose pendant 39 ans, tu devrais être un virtuose…Mais moi, non. Ce n’est pas ce que je cherche à faire… Tu vois, sur une guitare électrique, tu as deux mains. Bien sûr. Moi je suis droitier. Donc, je fais les accords avec la main gauche, et la main droite frappe les cordes. Pour moi, la main gauche, c’est le démonstratif. Tu montres que tu sais bien jouer. La main droite, c’est ce que tu es, et l’énergie que tu mets dedans. J’ai donc passé mon temps à développer cette main droite, et en fait, je joue avec deux ou trois accords. Pas plus ! Je n’en ai rien à foutre du démonstratif. Ce que je veux, c’est faire passer un truc au gens. Et apparemment, ça marche ! Tout à l’heure, un mec est venu me remercier en me disant que ça faisait 40 ans qu’il me suivait. Je lui ai répondu que c’était à moi de lui dire merci. Car sans public, il n’y a pas de groupe. Il y a un échange entre les artistes et le public. Il n’y a aucune hiérarchie entre les deux ! C’est pour ça que le star-système m’a toujours gavé.
Pour en revenir aux Bérus, beaucoup de gens en parlent, mais j’ai l’impression qu’il y a en peu qui ont capté ce qu’étaient réellement les Bérus. Tu as plusieurs lectures. Tu as bien sûr la plus évidente, le côté anti-système. Mais tu as aussi un côté très branché sur la littérature, et enfin un aspect très branché sur la psychologie. Ce n’est pas un hasard si dans les premiers morceaux, il y avait deux thèmes : l’hôpital psychiatrique et la guerre. Par exemple, « Macadam massacre » ne parle que de ça. Chaque album des Bérus correspond à une période de vie… Au premier album, nous avions 17/18 ans. T’es pas du tout dans le même état d’esprit qu’à 25…. Le problème de la plupart des groupes, c’est qu’ils finissent par s’oublier en se retrouvant enfermés dans une espèce de plan de carrière. Moi, j’assume entièrement toutes les périodes que j’ai vécues, y compris quand j’étais squatteur, etc. Il y a plein de choses intéressantes à vivre, dans tous les milieux ! Tu rencontres des gens super intéressants dans des lieux improbables (tout comme tu rencontres des gros cons dans des milieux alternatifs). Du coup, c’est aussi un enseignement que j’essaie de transmettre à mes enfants et à mon petit-fils : toujours rester fidèle à soi-même, et ne jamais se trahir. On peut se gourer, ça m’est arrivé plein de fois. Mais se renier, c’est terrible ! IL faut vivre selon son cœur. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas tenir compte du matériel. On est dans une société où on ne peut pas s’en passer… Mais on peut vivre en collectif. Regarde l’exemple du Danemark : quand ils construisent un immeuble, ils mettent une machine à laver pour 50 appartements. Nous en France, on n’a rien compris. On met 50 machines à laver dans 50 appartements… On n’utilise pas notre cerveau !
Pareil pour notre système éducatif : on a un système éducatif extrêmement mauvais. On fait de nos enfants des moutons… Une tribu qui ne respecte pas ses enfants est une tribu qui est vouée à mourir. Moi, ma mère m’a mis à l’école Decroly, qui est une école alternative, parce que j’étais un peu autiste. Avant, quand j’étais enfant, j’ai été voir Françoise Dolto parce que mon père était pote avec. Ça s’est très mal passé ! Elle était atroce : elle m’a mis une grosse baffe dans la tronche !

 

  • Non, tu plaisantes ? Françoise Dolto, avec tous les écrits éducatifs qu’elle a fait, détestait les enfants ?

Oui ! J’ai suivi après sa carrière, j’étais fou. Quand mon père m’a emmené la voir, elle m’a demandé de faire un dessin. Je te jure, c’est gravé à vie : je fais un dessin, et comme je suis très branché sur les chevaliers, j’ai fait un château fort avec pleins de tours. Elle a regardé le dessin, et m’a dit : « Tu as fait beaucoup de zizis ! » Moi, je lui ai répondu que non, c’était un château fort avec des tours! Le ton a monté, et j’ai pris une grosse claque…

 

  • On va conclure, parce que tu vas aller jouer après. Un mot pour finir ?

Le rock’n roll est la dernière aventure du monde civilisé !

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1 Commentaire sur “Les Ramoneurs de Menhirs – Interview”

  1. pingback pingback:
    Posté: 4th Jan 2017 vers 16 h 19 min
    1
    Festival de Noël (Limoges, Centre Culturel Jean Moulin, 16-17 décembre 2016) | Soil Chronicles

    […] Beaucoup moins sensibles aux détails, arrivent en dernier les Ramoneurs de Menhirs… Évidemment, au bout de 35 ans de punk comme c’est le cas pour leur guitariste Loran, ex membre de Bérurier Noir, tu te fous un peu de ton image…(interview ici). […]

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