Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10

“Dans toute morale ascétique, l’homme adore une part de soi-même sous les espèces de Dieu, et il a besoin pour cela de changer en diable la part qui reste…” Friedrich Nietzsche

Je me suis attaqué plus récemment au concept étrange, pour le prochain album d’un de mes projets, de la palingénésie. Autrement appelé « métempsychose », il s’agit pour vous la faire courte de l’idée selon laquelle une âme peut contrôler plusieurs enveloppes charnelles en même temps. Attention ! Pas simultanément, mais sur plusieurs renaissances, d’où le mot palingénésie. L’idée s’étend même philosophiquement sur les animaux et les végétaux.

Aset est donc un projet totalement mystérieux sorti pourtant sous la bannière étoilée de l’un des labels les plus importants qu’il y ait actuellement en France, en la personne des Acteurs de l’Ombre Productions. Le projet musical n’a pas tellement d’origine à proprement dit, puisqu’il est composé de membres du groupe français Seth et de membres du groupe finlandais d’Oranssi Pazuzu. On va donc, pour le bien de la chronique, dire qu’Aset serait un groupe européen. Pourtant pas totalement sur la même longueur d’onde musicalement parlant, même si l’on cause ici de black metal, chaque groupe se situant différemment sur l’échiquier black metal. L’un étant en effet sur un black metal que l’on qualifierait de conventionnel, sans tomber dans le piège du conformisme à outrance, l’autre ayant une dimension plus mystique, sinon ritualiste qui m’a toujours sauté aux oreilles. Alors, j’avoue qu’avant même l’écoute en avant-première, je me demandais quel groupe allait prendre le pas sur l’autre, car en général sur ce type d’alliance, il y a un groupe qui se démarque. Astral Rape constitue donc la première sortie de ce projet bizarre, qui déchaine quelque peu les passions sur les réseaux sociaux à la sortie des singles. J’avoue que beaucoup de choses, loin de me détourner comme ce serait le cas habituellement avec les groupes encensés trop vite, ont fait l’effet inverse et m’ont donné une motivation supplémentaire pour faire la chronique de cette future sortie. Car comme vous le savez, au plus on encense un groupe auprès de moi, au moins j’ai envie de l’écouter de peur d’être déçu. On va les découvrir ensemble?

D’entrée de jeu, j’ai découvert que la pochette, rapidement d’ailleurs, était particulièrement lourde de sens. Strictement, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une forme d’emprise qui est représentée, avec ce personnage ultra classique d’une jeune fille habillée d’une toge blanche qui semble dormir sur un autel, et qui se voit entourée par trois personnages, une vieille bonne sœur (un peu flippante au passage), une plus féminine et plus « pure », sinon lisse, et un personnage masculin qui fait penser à un prêtre orthodoxe. J’ai cherché un peu plus attentivement, et les trois personnages clairement religieux qui entourent la jeune fille sont effectivement plus représentatifs de la branche orthodoxe de la chrétienté. Ce pour lequel je suis un peu moins catégorique réside dans le décor derrière, les motifs sur les murs qui font très anciens mais moins évidents à comprendre et à identifier. On pourrait tout de même penser que la séance d’emprise se déroulerait dans un sous-sol, ou une grotte ancienne, quelque chose de ce genre. Bon ! Ce dernier point ne change rien en particulier à l’idée métaphorique qui émane de cette très belle pochette. Si l’on prend la traduction d’Astral Rape qui signifie « viol astral », je crois qu’on est en plein dedans si l’on demeure très cynique sur la religion, surtout la religion monothéiste et son prosélytisme à outrance, et surtout puisqu’on parle de metal, de la chrétienté. Si l’on considère en effet le rôle de la religion comme celui d’une sorte de lavage de cerveau, alors je pense qu’Aset fait totalement mouche en osant aborder la thématique du viol pour évoquer le prosélytisme. C’est cru, provocateur et un brin exagéré, tout en apportant une touche ancienne avec cette (fausse?) photo sépia, mais comme on est dans le metal, style blasphématoire par excellence, alors on ne peut qu’apprécier. Sur le style, j’ai trouvé la pochette intrigante, sans me transcender non plus. C’est plus sur le fond potentiel que j’ai pris mon pied !

Souvenez-vous, je vous disais que je sentais poindre l’idée que l’un des groupes aurait plus d’influence artistique sur l’autre. Incontestablement selon moi, c’est Oranssi Pazuzu qui prend le dessus. Assez nettement même. Loin de bercer dans un black metal old school avec tout le mid tempo qui va avec et la froideur riffique qui en émane, on écarte donc officiellement le black metal bien puriste si j’ose dire. Seth est selon moi un groupe qui propose un black metal aux confins du symphonique avec les claviers et tout le côté grandiloquent qui en découle, ce qui d’ordinaire est un sacré gage de réussite, Seth étant un groupe absolument majeure dans l’hexagone, c’est indéniable. Mais quand on entend pour la première fois Aset, indiscutablement cela transpire le côté complètement barré et flippant d’Oranssi Pazuzu. D’abord pour son côté mystique, puisque la musique est sur une démarche pleinement ritualiste et occulte, offrant donc un black metal certes dans une émulsion qui utilise une belle part de froideur et d’incision, mais avec aussi une autre épaisseur bien adipeuse sur une dimension mystique et horrible, sur fond de propos incantatoires et d’une forme de démonisme total, allant donc bel et bien sur ce que nous proposait en substance la pochette. Et tout cela, c’est mon point de vue évidemment, je trouve qu’on le vit plus intensément sur les albums d’Oranssi Pazuzu. Cela donne donc un black metal extrêmement occulte, avec une abondance de riffs incisifs mais aussi flippants, le tout sur un enrobage avec des samples ritualistes et ambiants, un chant qui amène une énorme puissance dans une musique qui aurait selon moi stagné si ce dernier n’avait pas été aussi important. Je dois reconnaître que j’ai été totalement pris aux tripes par cet Astral Rape. D’abord parce que je suis très sensible à tout ce qui est occulte, et je trouve que cette notion d’occultisme dans le metal était trop reservé à une caste black metal old school qui faisait mon bonheur quand même mais qui avait tendance parfois à me décourager d’avoir un ou des artistes metal qui proposeraient de faire peau neuve de ce sous-genre. Ensuite parce que l’album, qui je le répète est le premier, est incroyablement bien produit et j’y reviendrai. Et enfin, et surtout, parce que cet album transpire l’expérience et le talent. C’est un peu comme le couple Curie : un couple indicible, indéfectible, qui a réussi à assembler leurs génies pour révolutionner la science. Je pense, toute proportion gardée, qu’Aset, en étant le fruit d’une association de musiciens aussi talentueux et ayant autant marqué le black metal, ne pouvait que plaire. Et de mon côté, c’est plus que cela, vraiment. C’est une révélation.

En tout cas, il y a un point commun entre les deux groupes qui seraient les pierres angulaires du projet Aset : la qualité extra de la production. Que l’on prenne un album d’Oranssi Pazuzu, ou un de Seth, surtout les récents, on ressent tout de suite la qualité du travail fait en studio qui, à mon avis, participe volontairement à l’avènement de ces groupes. A des échelles différentes encore une fois ! Vous prenez « Mestarin Kynsi » des Finlandais et son côté presque psychédélique, et le magnifique « La morsure du Christ », vous sentez bien entendu les différences d’influences et de productions. Mais que vous soyez sceptiques ou non, vous ne pouvez pas dénier qu’Astral Rape se pare d’un son absolument excellent. C’est ce que je disais en louange quand j’arguais que je me languissais quelque peu d’avoir un album qui s’amuse à faire dans l’occultisme et les rituels sans passer par la case old school comme le ferait l’excellent one man band Esoctrilihum. L’énorme point fort d’Astral Rape est donc d’offrir le miracle que j’attendais sur le plan sonore depuis un moment, à savoir un accouplement entre occultisme et modernité. Car oui, la production de la musique, offrant une place adéquate pour chaque instrument, un son très fidèle à ce black metal moderne qui fait la part belle à un côté atmosphérique au détriment de la froideur sale comme j’ose dire, ne dénature aucunement le fer de lance de ce projet musical follement prometteur : le mysticisme. On pourrait penser qu’il s’agit au départ d’une grosse prise de risque, et je suis assez d’accord. Alors, partant de ce constat que l’on aurait frôlé la gabegie, je suis convaincu que vu la hauteur flagrante du résultat, Aset mérite qu’on le vante par sa production novatrice dans un style en hibernation. Une vraie claque pour moi, quelle qualité de production, c’est fou !

Ma seule véritable interrogation, qui résulte plus du domaine « philosophique » ou artistique que si l’on restait stricto facto sur la musique, est de comprendre quel est exactement le concept derrière cet Astral Rape. On l’aura compris, je l’ai suffisamment répété, le groupe fait la part belle à l’occultisme, le tout sur une forme très cynique à l’égard des religions monothéistes et évidemment, sur le christianisme. Mais peut-être que la toute petite erreur de commise ici est d’avoir joué la carte joker du mystérieux un peu trop en avance. Quand on se lance dans un nouveau projet musical, même si l’on joue le rôle intéressant du groupe occulte et mystérieux, il est bon de fédérer l’auditeur. Or, si l’on n’a pas accès au dossier presse comme moi, on ne peut pas deviner rien qu’avec un support d’écoute dématérialisé voire le CD, tout ce qui se trame derrière. Je serai curieux de vérifier si Aset propose dans son format CD le même manifeste qu’il propose dans le dossier presse, qui est bluffant et bien ficelé pour nous convaincre de rejoindre la horde. Mais visiblement, ce n’est pas le cas. Et c’est bien dommage. Parce que si l’auditeur lambda n’en aurait cure de connaître l’intitulé exact du concept album Astral Rape, certains comme moi attachent une grande importance pour se plonger pleinement dedans. C’est selon moi le seul défaut de ce premier album : il ne jette pas assez les bases pour mieux appréhender Aset. Mais encore une fois, si l’on en reste sur la musique, c’est juste une tuerie sans nom possible. Un peu comme Dieu quoi.

Je terminerai l’analyse par une petite parenthèse sur le chant. Une technique vocale totalement irréprochable, d’une puissance rarement ressenti sur un album de black metal. Là encore ce que je trouve impressionnant c’est que le groupe ne tombe pas non plus dans le piège d’une technique de chant commune au black metal old school, comme je le développais. Ici, parvenir à rester fidèle à la dimension occulte en utilisant un chant majoritairement puissant et brutal presque, c’est assommant. Je vous passe les interludes en narration ou les moments où le chant est plus incantatoire, avec même des passages en chant diphonique, parce que ces derniers sont les ingrédients d’une musique ritualiste réussie. Mais je le répète : le gros gros point fort de cet Astral Rape, c’est de piétiner les convenances jusqu’au chant, pour prendre des risques et les rendre payants ! C’est tout simplement bluffant. Je suis scotché.

Pour terminer ma chronique officiellement, j’ai pris un pied phénoménal à vous parler, pour me remettre mon fameux pied à l’étrier, du premier album du projet musical nommé Aset, et dont le premier méfait se nomme Astral Rape. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le label Les Acteurs de l’Ombre Productions a sorti une véritable carte maîtresse de son roster. Fort d’une alliance improbable entre des musiciens (inconnus) d’Oranssi Pazuzu et de Seth, on savait par avance qu’on irait sur du black metal. Mais là où l’album prend totalement tout le monde à contre-pied, se situe dans sa dimension occulte et ritualiste qui s’allie avec brio, et je pèse mon mot, avec un black metal moderne, finalement très actuel même si la domination composale très Oranssi Pazuzu offre une musique sans pause ni linéarité concrète. Moi qui n’étais que très rarement parvenu à sortir de mes sempiternels groupes occultes estampillés années 90, je crois que c’est la première fois depuis très très longtemps que j’ai pris un orgasme musical sur ce qui me semblait perdu pour le pays Metal : modernité et occultisme. Aset y arrive avec un culot qui frôle le génie absolu. Ce premier album est une pure tuerie, une ode au mystérieux et à la noirceur cléricale. Un bijou du genre, probablement la meilleure sortie du label depuis Deliverance pour moi.

Tracklist :

01. A Light In Disguise
02. Abusive Metempsychosis
03. A New Man For A New Age
04. Lord Of Illusions
05. Astral Dominancy
06. Force Majeure
07. Serpent Concordat

Facebook
Instagram