Bovary – Par Amour du Vide

Le 16 avril 2023 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • Petri Ravn : guitare, chant
  • Bastien : batterie
  • Étrange Garçon : guitare, chœurs
  • Loïs : basse, chœurs
Guests : Sotte : chant, narration sur 1 et 8 / Isidore de Palsuie : chant additionnel sur 4

Style:

Black Metal Dépressif

Date de sortie:

07 avril 2023

Label:

Remparts Productions

!! Un album, deux avis !!

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9/10

« Las, voyez comme en peu d’espace
Mignonne, elle a dessus la place
Las, ses beautés laissé choir
Ô vraiment marâtre Nature
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir » Pierre de Ronsard

En ce moment, c’est un retour un peu brutal à mes classiques, que j’expose ce soir. Parce que le contexte de ma vie sentimentale et, d’une manière plus globale, de ma vie tout court, fait que j’ai un besoin de revisiter mes classiques de poésie française. J’ai chez moi un excellent livre, que je feuillette quand j’ai une sorte de spleen qui s’installe, une sorte de compilation des meilleurs poèmes français, notamment quand je traverse un vide affectif. Ce fameux vide qui s’insinue alors que vous avez tout ce qu’il faut dans votre vie sociale pour ne pas sombrer, mais dont vous comprenez très vite qu’il manque un truc pour que votre coeur et votre âme soit réchauffés pleinement. L’effet printemps, certains diraient ! Moi, je pense qu’il s’agit surtout de trouver des astuces, des mécanismes de défense face à la solitude, que pourtant j’adore, mais qui, par moments, me joue quelques tours malsains. En pleine errance, je me réfugie donc parfois dans la littérature qui a fait ma scolarité (car, qu’on le veuille ou non, que l’on fut attentif en classe ou non, notre scolarité nous marque durablement), ou qui fait mon quotidien, tout simplement. Je suis donc tombé sur ce fameux livre avec des poèmes de Ronsard, directement inspiré (je parle de mon choix de livre) par le groupe que je m’apprête à chroniquer. Mais aussi, par ce besoin irrépréssible de comprendre ce qui se joue entre la passion et la raison. Source de grandes interrogations de tout un chacun, parfois grande source de souffrance, je pense que l’on s’est tous demandé, au moins une fois, quelle est la différence entre amour passionnel et amour tout court, en tout cas je suis en plein dedans. Je recommande une lecture très intéressante à ce sujet, celle de la psychologue Camille Rochet dans son livre « L’Amour Commence Après Trois Ans », qui explique notamment que la majorité des couples commencent leurs relations par un amour passionnel avant de basculer dans l’amour tout court. En tout cas, vous l’aurez compris, ce n’est pas la grande joie dans les chaumières pour moi ! J’aurais préféré vous présenter cette nouvelle chronique dans un bon aloi, mais ce serait mentir et quelque part, je me dis que mon choix ne peut qu’être judicieux pour ressentir et vivre pleinement mes émotions enfouies. J’ai donc fait le choix de vous parler, en collaboration avec mon camarade Seblack, de Bovary et de son album nommé « Par Amour du Vide ».

Bovary et moi, c’est une sorte d’histoire d’amour passionnel, justement. Parce que j’ai été particulièrement dur, peut-être injustement je l’admets aujourd’hui, avec les deux premières démos du groupe. Il faut remettre dans le contexte de l’époque où je débutais l’analyse des productions plus « raw », et je n’avais pas assimilé efficacement ce qui me semblait n’être finalement que des errances sonores et de la maladresse. Mais cette déception était à la hauteur de ce qu’est capable de faire le cerveau pensant de la composition de Bovary, Etrange Garçon, car au-delà de cette production que je n’avais pas compris avant, les compositions m’ont toujours plu. En tout cas, on peut faire un petit rappel concernant l’histoire du groupe. Ce dernier est localisé à Embrun, dans les Hautes-Alpes, et trouve son existence officielle depuis 2017. Après avoir sorti deux démos entre 2018 et 2019, et connu quelques changements de line up notamment aux chants, il aura fallu attendre quatre années de plus pour stabiliser le line-up actuel, et pour enfin avoir ce premier album nommé pour l’occasion « Par Amour du Vide ». Album également enfin produit par un label, Remparts Productions, dont on peut gager de la sécurité des choix, au vu du roster. Je dois donc reconnaître que je suis impatient de faire la chronique de ce premier album qui sonne, je l’espère, comme un aboutissement. Aboutissement pour aller encore plus loin après, c’est le propre de l’Art après tout. On y va !

Et pour ce premier album, Bovary a carrément été frontal ! En ayant pour modèle photo Sotte, jeune fille derrière un projet dark ambient éponyme, particulièrement torturé, le groupe a voulu indéniablement plonger l’auditeur dans un profond marasme et une souffrance terrible. On devine en effet, à la corpulence de cette jeune fille (sans vouloir lui faire offense du tout !), qu’il y a une volonté d’abord de montrer une cachexie métaphorique, et donc une souffrance corporelle importante. Ensuite, que pour y voir un autre symbole potentiellement interprétatif, une volonté de mise à nu comme le ferait probablement n’importe quel artiste un brin torturé dans sa tête, pour nous retranscrire visuellement donc, mais musicalement ensuite, une forme profonde, enfouie et incommensurable de souffrance psychique. Le fait de poser dans une forme d’intimité, comme ici, ne peut que nous révéler que Bovary ne fait ni dans la joie, ni la bonne humeur. Si on en doutait encore au regard des deux premières démos… Mais en tout cas, loin de me déranger, cette pochette me satisfait beaucoup plus que les démos, parce qu’on y voit un côté personnel bien plus prononcé. Et j’apprécie l’audace de cette jeune fille qui pose comme une métaphore revendiquée ou non à la souffrance. Donc, déjà, cela satisfera son créateur, j’aime la pochette ! Je la préfère mille fois aux précédentes, je la trouve bien plus raccord sur la question de la souffrance qui transpire de la musique de Bovary que celles d’avant ! Judicieux, et audacieux choix!

Dès les premières notes et déclamations narratives de Sotte et les paroles qui suivent l’album, on devine que « Par Amour du Vide » va nous parler d’une des formes de souffrance les plus terribles qui soient : les addictions. Sous l’étendard d’un black metal dépressif et dissonnant au possible, la thématique globale reste les addictions, et les plus terribles qui soient, et qui sont l’affective et à moindre échelle, les troubles alimentaires. Car oui ! Vous l’ignoriez peut-être, mais la boulimie et l’anorexie sont considérées comme des pathologies addictives, avec le même mécanisme que l’alcoolisme ou la prise de stupéfiants. L’idée est donc d’accompagner subtilement cette expression monstrueuse de souffrance par une musique lancinante, plus lente que rapide, plus oppressante que rapide, avec tout un tas de dissonances riffiques aux guitares, et tout de même cette touche macabre et noire que l’on retrouve dans les riffs en clean ou les passages plus saturés. Définitivement, je trouve que son maître à penser est un excellent compositeur, particulièrement dans l’accouplement de ces fameux passages en clean, qui sont minimalistes, mais redoutablement efficaces, et les passages plus black metal pur. Il y a aussi tout un tas de changements rythmiques, qui n’étaient pas présents sur les démos, offrant donc une musique sans repos ni engourdissement, proposant des variations rythmiques qui accentuent considérablement le sentiment perpétuel de chaos psychique qui accompagne allègrement la musique. Quelques soli sont même à noter ! En fait, là où Bovary a fait un incroyable pas en avant pour moi, c’est, comme je disais, dans la complexité de ses compositions et dans le fait de rechercher un peu plus de prise de risque dans la déconstruction de ces dernières, en allant sur quelque chose de beaucoup plus mélodique, beaucoup plus déstructuré, en incorporant même, de temps en temps, un clavier par-ci, des samples narrés par-là, mais au moins la musique n’est pas linéaire ! D’ailleurs, on y reviendra, mais la production va faire taire beaucoup de puristes qui considèrent qu’un black metal réellement dépressif doit se parer d’une production dégueulasse. Bovary va mettre tout le monde d’accord en prouvant le contraire ! Sans être ultra rapide, ce qui a tendance parfois à m’agacer dans les groupes black metal underground de chez underground, ici, la musique se situe sur un juste milieu idoine pour nous faire tomber en léthargie psychique et en souffrance partagée. En fait, je pense qu’avec du recul, et en première écoute uniquement, cet album sonne comme un album de maturité. Il y a réellement une forme d’aboutissement, une recette bien trouvée qui va en ravir plus d’un ! Contrat rempli pour moi !

Comme j’expliquais plus haut, j’avais été très dur avec la production des deux premières démos de Bovary. J’étais resté le plus objectif possible, parce que j’étais intimement convaincu qu’au vu du talent indéniable de son créateur, il y avait laaaaaaaaaargement de quoi sublimer ses compositions avec une production plus propre, moins raw. Bon ! Je ne sais pas si je peux m’octroyer le succès retentissant de la démarche, peut-être un peu, mais cette-fois, c’est la bonne ! « Par Amour du Vide » s’est doté d’un son impeccable, ni trop propre ni pas assez, suffisamment pour que chaque instrument ait une place prépondérante, et insuffisamment pour que les morceaux soient dérangeants au possible. Franchement, il n’y a pas à chier, la production est impeccable, comparée à avant. Désolé, je compare, mais parce qu’au moins on voit à quel point Bovary a mûri. Les morceaux sont quand-même sublimés par cette nouvelle propreté, cet effort de fait pour rendre clair chaque instrument, tout en gardant quelques touches riffiques et les effets sur le chant qui font l’identité du groupe. Il y a aussi quelque chose de lointain dans le rendu sonore final, une sorte de sentiment que l’on chute dans le vide, comme si on était attiré par une forme de néant ou de chaos. J’ai l’impression, quand j’écoute l’album, que je vais plonger dans une noirceur terrible, et je pense que cet effet est dû au son général de l’album qui fonctionne, volontairement ou non, comme un marasme sonore lointain, la petite touche dépressive que l’on attendait probablement et qui se retrouve bien équilibrée avec la propreté améliorée de la production. Il n’y a donc pas photo du tout ! Non, sincèrement, cela fait plaisir! Un album de black metal dépressif peut tout à fait fonctionner avec un son carré comme ici, je le dis haut et fort ! Et « Par Amour du Vide » en est un très bon exemple.

Maintenant, comme je disais, « Par Amour du Vide » n’est pas le genre d’albums à prendre à la légère, comme une simple écoute récréative. Il convient de le prendre, non pas comme un album lambda, qui s’écoute pour s’écouter si j’ose dire, mais il faut le prendre comme un album qui a une histoire à raconter, une sorte de totale mise en exergue de sentiments enfouis qui explosent pour nous avaler tout crus dans une sorte de marasme terrifiant. Ce type d’album se vit pleinement, avec toutefois un devoir de réserve, non pas pour avoir une sorte de banalisation de tout ce qui est exprimé, d’aucun diront par exemple que ce n’est que de la musique, mais simplement pour se protéger des débordements émotionnels qui incombent à l’intensité qui rend cet album vivant, totalement vivant. En fait, j’adore particulièrement l’idée que cet album de Bovary soit un album qui se vit comme une sorte de confession intime, qui cherche à nous envahir par les états d’âme lancinants de son créateur, ou de son / sa narratrice, et qui, du coup, fait prendre toute sa forme séculaire à l’expression « black metal dépressif ». J’en ai, fait des chroniques de ce genre, mais rarement, je crois, un album ne m’aura autant pris à la gorge, et c’est le mot quand on sait que l’un des premières pistes évoquées est celle des troubles du comportement alimentaire. Bon, je reste un peu bloqué dessus parce que c’est une thématique qui me passionne au vu de ma profession d’infirmier spécialisé en psychiatrie, addictologie et polyhandicap, mais je crois avoir compris que l’album parlait aussi du changement de sexe sur la piste 4, peut-être également la rupture sentimentale, etc. Quand on parle d’un amour du vide, Bovary le retranscrit à la quasi perfection en parlant donc d’addictions affectives ou alimentaires, en parlant aussi de l’anamnèse de certains (grands) artistes, qui ont vécu des choses difficiles dans leurs histoires familiales, et tout cette mise à nu honore ces créateurs et me ravit au plus haut point ! Balayés, mes doutes et scepticismes sur les démos ! Bovary a frappé un grand grand coup dans le registre black metal dépressif ! Belle claque !

Et pour ce qui est du chant, je pense avec beaucoup de recul, vu comme j’adorais Ondine, l’ancienne chanteuse – et surtout en concert – je pense que la place qu’occupe désormais Petri Ravn au chant est prépondérante pour l’état de grâce qu’a atteint Bovary cette année, avec ce premier album. Loin de donner sa part au lion, elle qui était la guitariste « de l’ombre » si j’ose dire, a réussi à me mettre totalement d’accord sur l’intensité de son chant en high scream, avec quelques relents légers de technique vocale sludgienne, qui va très bien dans ce registre black metal dépressif. Le chant est dantesque, complètement puissant et doté d’une telle rage, non pas de vivre, mais de vomir les miasmes de souffrance qui envahissent les corps et les âmes de tout un chacun, que l’on en vient à se demander à quel moment elle va se jeter d’un pont ou se poignarder le coeur ! Il y a, indéniablement, un truc en plus dans le chant. Bien accompagnée par les choeurs là encore flippants d’Etrange Garçon et de Loïs à la basse, je trouve sincèrement que l’ensemble de vocalises est excellent ! Là encore, je me suis mangé une belle claque. Et que dire de l’apport en chant narré et scream de Sotte sur les deux pistes où elle chante ! Cette fille, loin de se faire discrète, apporte un vrai plus à l’album, et n’a pas d’autre rôle modeste que d’amener le concept album en évoquant (j’en suis presque certain) ses propres troubles alimentaires. Elle qui posait déjà en photo pour l’artwork, n’étant qu’invitée sur ce premier album, elle joue pourtant un rôle au premier plan qui change beaucoup de choses ! Dommage que ce ne soit qu’une collaboration, parce que, sincèrement, son rôle est sous-estimé au regard de tout ce qu’elle amène de foncier. Mais c’est mon avis ! En tout cas, sur les chants, c’est un sacré pas en avant de fait, et j’espère que l’ossature va rester la même pour le futur, parce que la recette est optimale ! Bon, juste un léger bémol, ne le prenez pas mal les ami(e)s, mais je n’aime pas le chant d’Isidore de Palsuie. Il mériterait probablement un meilleur choix que l’amitié qui lie Bovary et lui, mais ce n’est que mon point de vue.

Et je n’ai pas résisté à l’idée de parler des textes, parce que je savais que, d’une certaine manière, j’allais être conquis. C’était, de mémoire, l’un de mes rares motifs de pleine satisfaction sur les démos, et cela illustre ce que j’ai toujours dit, clamé et assumé : le créateur de Bovary est pétri de talent, notamment sur l’écriture. Et les textes sont dans la même veine ! Pourquoi changer ? Franchement, les textes sont dégueulés comme jamais par les chants de l’album, mais rien qu’à les lire, on devine que notre ami a de quoi déverser dans son for intérieur! J’aimerais bien être un parasite pour visiter les entrailles de ce dernier, histoire de comprendre de quoi est faite la lave qui bouillonne en lui depuis ces années. En tout cas, les textes sont du grand Bovary : tantôt poétiques et magnifiques, tantôt des phrases coups de couteau comme je dis, incisives et agressives, pour défoncer le peu de dignité qui nous reste. Le mot dépressif prend tout son sens et je suis plutôt heureux de constater que certains textes ont probablement été délégués pour donner une autre coloration. Mention spéciale à la reprise « Mon Amie la Rose » de Françoise Hardy, qui est un choix de prime abord surprenant, mais qui prend son sens quand on connait le contexte, mais je le garde pour moi. C’est une reprise surprenante, dont j’ai failli en préférer l’apport plutôt que l’original, c’est vous dire !

Pour terminer cette chronique, je dirais bien que je mets un point final, mais d’une part, cela donnerait du grain à moudre à Bovary, groupe français de black metal dépressif qui sort son premier album cette année, et aussi parce que je crois que mon aventure avec le groupe est loin d’être terminée ! Me sentant redevable, et emprunté d’une douce curiosité, j’ai transgressé mon propre interdit de ne pas refaire le même groupe en chronique. Que n’aurait pas été mon erreur ! Parce que Bovary m’a complètement désarçonné avec ce premier album extrêmement mature, et en même temps dans une totale intimité révélée au grand jour, comme c’est d’usage dans ce domaine musical. Mais là où le groupe se démarque durablement de ses prédécesseurs, c’est dans la qualité, le soin et l’esthétique sonore qui subliment totalement l’ensemble pourtant chaotique et violent, dans une sorte de mélange de poésie et de torture. Et les progrès si j’ose dire, au regard de mes propos difficiles sur les démos, m’ont absolument mis d’accord sur le fait que Bovary est sur la meilleure des pentes ! Franchement, quelle claque ! Un album à urgemment mettre en avant ! Bravo !

Note du SoilChroniqueur (Seblack) : 9/10

Dire que j’attendais ce premier album de Bovary est un doux euphémisme. D’ailleurs cela fait presque bizarre d’employer l’expression premier album tant les deux démos précédentes ont tourné dans mes oreilles et sont devenues dans ma tête de détraqué une sorte d’album à part entière. Pourtant non, l’histoire retiendra que Par Amour du Vide est le premier album de Bovary et que Remparts Productions en a assuré la sortie, un joli jour de printemps de l’année 2023.

Mon sémillant collègue Quantum ayant déjà très largement défriché le sujet par une de ces diarrhées verbales dont lui seul a le secret, je me montrerai plus constipé mais pas moins enthousiaste. Bon, logorrhée aurait surement été un mot plus convenable, mais puisqu’on parle de depressive black, diarrhée me paraît plus classe. En plus il est tout de même assez souvent question du corps et de ses fluides dans Bovary. Non nous ne sommes sommes pas dans le grind pipi-caca, mais rappelez vous donc quelques titres des démos : « Sur ce mur trop souillé », « Ta vie, c’est mes chiottes »…
Oui, le corps est une thématique assez prépondérante chez Bovary. Le corps ? Oui, vous savez, cette carcasse entourée de viande et de tout un tas autres choses. Ce corps qui est, qu’on le veuille ou non, une espèce de vitrine qu’on exhibe ou cache dans ce merveilleux petit monde qui est le notre. Un sujet délicat que le corps, cette chose qui soi disant est à nous mais que l’on doit sans cesse conformer au regard des autres. Un espèce de machin des Danäides qu’il faut à la fois remplir et vider sans fin jusqu’à la fin. Une enveloppe qui fait la fierté de certain(e)s et en complexe d’autres. Un bidule dont on ne sait, parfois, que faire, avec ses envies, ses addictions, ses répulsions qui vous fracassent à vous en faire perdre la boule. Et alors pour peu qu’au jeu de la vie, on se soit vu octroyer une enveloppe charnelle féminine, on a alors tiré le gros lot pour passer un inoubliable moment coincé entre marketing culpabilisateur et injonctions patriarcales.
La féminité c’est un autre aspect propre à Bovary il me semble, quand bien même le sieur Etrange Garçon est principalement à la manœuvre. Cela passe beaucoup par la voix bien sur, le chant principal ayant toujours été assuré par une femme (Queen Trash, Ondine et désormais Petri Ravn). Mais ça va plus loin que cela et la féminité est un sujet assez prégnant dans la thématique des chansons pour être mentionné. C’est un aspect assez peu répandu dans le style pratiqué et qui prend une place notable dans Par Amour du Vide, sans pour autant se transformer en slogan de quelque sorte. Le corps, la féminité voilà qui a de quoi en bousculer plus d’un au sein d’une scène black testostéronée et souvent enfermée dans des sujets de plus en plus communs et inoffensifs. Comme s’il avait été oublié qu’un des fondements du black metal c’est par essence d’être dérangeant et malséant.
Bovary en dérangera probablement plus d’un et c’est tant mieux. Car oui on les entend déjà venir les cadors qui se réfugieront derrière le silence ou au pire derrière les aboiements habituels. « Pas assez raw, c’est pas du black » diront les uns ou à l’inverse  » Trop cru, pas assez de ceci ou de cela » diront d’autres et bien sur l’éternel « J’aime pas le chant en français ».
Grand bien leur fasse.

L’artwork avec cette jeune femme laissant voir son corps dénudé, décharné, son regard immense et hagard donne d’ailleurs parfaitement le ton de la musique : un mélange indissociable de fragilité, de souffrance, de force, de vague à l’âme et de détermination.
Une musique qui tarde à venir d’ailleurs laissant d’abord la place à une voix artificialisée, que l’on croirait sortie d’une de ces applications donnant l’illusion que l’on est connecté au monde. Une outro inhabituelle par sa longueur et son contenu qui laisse l’impression d’assister à une exécution capitale des temps modernes dans un univers où technologie et impératifs esthétiques dictent implacablement leur loi.
Des mots qui vont entrer en résonance avec le titre « Ana » où Bovary dévoile un univers musical à la fois nouveau et familier à ceux qui suivent déjà le groupe. La musique est beaucoup moins lo-fi que ne l’était celle des œuvres précédentes. Un parti pris qui n’est pas sans risque dans un microcosme pas toujours très ouvert et qui estime qu’un groupe de depressive black doit sonner crade. Un point de vue très discutable d’ailleurs. Dans tous les cas, on a ici une prise de risque mesurée et réussie, Bovary parvenant à développer des sonorités tour à tour incisives ou plus caressantes mais sans jamais se départir de ce côté maladif et cabossé propre au DSBM. Chaque instrument trouve sa place dans des compositions très bien écrites et joliment assemblées les unes aux autres pour un album qui semble progresser crescendo. Une montée en intensité assez époustouflante et qui trouve son point final avec l’interprétation de la chanson « Mon Amie la Rose », elle même inspirée d’un des poèmes les plus beaux et cruels de la langue française « Mignonne Allons Voir si la Rose » de Ronsard.
Car Bovary c’est aussi cela : une certaine forme d’élégance à la française se mêlant à l’ordure du black metal et à une poésie noire à la fois surannée et très contemporaine ; un peu comme si Villon, Ronsard, Baudelaire et Bukowski partousaient avec Marceline Desbordes Valmore, Louise Labé, Georges Sand et Virginie Despentes. Autant de figures littéraires, françaises ou non, qui amènent à se pencher sur un des aspects les plus intéressants de cet album à savoir les paroles. Si Bovary nous avaient déjà régalé de quelques belles fulgurances verbales dans ses démos, ici nous sommes comblés à coups de tournures à la fois crues et élégantes, cruelles et belles. Métaphores et oxymores fleurissent à l’ombre des tourments et tutoient quelques mots beaucoup plus crus déposés délicatement comme des glaviots sur une robe de soie.
Et pour donner un écho supplémentaire aux maux de ces mots, il fallait une voix. Et quelle voix que celle de Petri Ravn avec ce scream si déchirant qu’il habite totalement la musique mais parvient à en faire ressentir et résonner chacun de ces putains de mots.
Notons toutefois que Petri Ravn n’est pas seule à donner de la voix, la plupart des morceaux voyant intervenir d’autres vocalises que ce soient celles d’Etrange Garçon, de Loïs, de Sotte ou d’Isidore de Palsuie.
En guise d’illustration à cela, pensons notamment aux différents échos se faisant entendre sur « Bonheur Léthargique » qui personnellement est le titre qui m’a filé le plus de frissons, quand bien même « Bénies soient les putains » ou « Sans moi » ne laissent pas leur part aux chiens.

Alors au glas de cette chronique, je ne peux qu’insister lourdement sur le fait que Bovary nous offre là un album qui est une véritable perle de depressive black metal.
Une œuvre à la fois belle, sombre et audacieuse, aussi bien dans sa forme que dans son fond. Plonger ses oreilles et son âme dedans c’est un peu comme aller mettre ses mains dans un épais rosier. Peut-être parviendrez vous à en effleurer du bout des doigts une des belles fleurs, je vous le souhaite, mais croyez bien que ce chemin sera garni d’épines acérées et que vos mains et votre âme vont saigner (et je vous le souhaite encore plus).
Mais à quoi bon des roses sans épines ?

Tracklist :

1. Par amour du vide (3:46)
2. Ana (5:53)
3. Bénies soient les putains (8:46)
4. Celui ou celle (5:15)
5. Dialogue amputé (6:28)
6. Sans moi (6:15)
7. Bonheur léthargique (7:06)
8. Mon amie la rose (3:10)

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