Skàld – Le chant des Vikings

Le 2 avril 2019 posté par Bloodybarbie

Line-up sur cet Album


  • Christophe Voisin-Boisvinet : composition et réalisation
  • Justine Galmiche : chant
  • Pierrick Valence : chant, talharpa et nyckelharpa
  • Mattjö Haussy : chant

Style:

Néo folk

Date de sortie:

25 janvier 2019

Label:

Universal Music

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.5/10

« Tiens-toi debout, là, devant nous
Pendant que tu questionnes !
C’est à celui qui raconte qu’il revient d’être assis. » (Snorri Sturluson)

Parmi les nombreuses poésies qui existent, celle concernant la scaldique est, à ce jour, une des moins faciles à comprendre, puisant son inspiration dans les vastes champs lexicaux de la mythologie nordique et, plus exhaustivement, dans le récit de certains rois ou guerriers glorieux du passé. Pour ceux qui ne le savaient pas encore, les scaldes étaient souvent des poètes attachés aux ordres de ces grands seigneurs, occupant par là un rôle de déclamation plus ou moins lyrique (dans un sens hyperbolique) d’exploits et de grandeurs. Souvent plus soucieux de la forme que du fond (beaucoup de ces récits n’ont jamais été attestés), la beauté de cette poésie si particulière réside dans son travail très complexe de la métrique et de l’harmonie imitative (figure de style qui consiste à imiter les bruits des sujets racontés, comme le « s » des serpents). Cela donne des textes magnifiques à clamer mais qui s’attachent moins au fond des sujets. L’Edda de Snorri est une des œuvres scaldiques les plus connues.

De fait, le nom même du groupe Skàld ne pouvait qu’attirer ma curiosité. La sonorité même de ce mot résonne comme un violent coup d’épée dans l’air, ainsi comme beaucoup d’autres mots relevant de la culture nordique et de la langue vieux norrois. Ce fut le point de départ de la découverte d’une œuvre aussi singulière que complexe à situer dans l’échiquier musical actuel.

Ma première impression concernant ce groupe français composé de quatre principaux musiciens fut un mélange d’enthousiasme et de fatalité. D’une part parce que rencontrer un groupe avec de telles ambitions se revendiquant des poésies scaldiques et de la culture nordique me remplissait d’excitation et, d’autre part, parce que j’ai eu la désagréable peur de tomber sur un énième groupe cliché, qui redonne encore davantage de popularité (avec son lot de désuétude) à un genre auquel je suis viscéralement attaché grâce justement à sa marginalité dans ce monde moderne. Le groupe étant signé chez Universal, cela ne faisait que renforcer mon scepticisme. Non pas qu’être estampillé « groupe commercial » soit gage, d’office, de mauvais présage ou de perte d’authenticité mais parce que j’avais peur que cette production devienne, à long terme, plus dans un but pécuniaire que personnel. Pour un premier ouvrage, le doute est plus que permis et je pourrais citer l’exemple du groupe Of Monsters and Men qui a sorti un premier album exceptionnel d’indie rock (album déjà enregistré en Islande et re-produit par Universal), et un deuxième beaucoup plus « pop ».
En tout cas, ce que l’on peut dire de Skàld est qu’il nous vient de France et a été fondé en 2017. Le quatuor a pour ambition de proposer un album de Néofolk, utilisant des instruments traditionnels du temps des vikings et de la technique d’acclamation scaldique, c’est à dire des chants gutturaux et une voix féminine lead qui porte encore plus haut les récits de l’album qui s’intitule assez à propos Le chant des Vikings. Premier album du groupe qui s’annonce d’emblée très prometteur.

Tout d’abord par la pochette. A n’en pas douter, des moyens importants ont été mis pour faire de ce premier CD une réussite et la photo du groupe sur fond bleu glacé plante le décor. Tous vêtus d’habits « traditionnels » (plutôt médiévaux), les musiciens posent dans un paysage de plage de galets avec un ciel chargé de nuages. Le jeu de lumière est bon, la perspective aussi. C’est du bon travail, même si je suis un peu partagé sur les tenues des musiciens. Étant amateur de médiéval (sans être un grand féru non plus), je doute un peu des habits qui sont utilisés, de leur authenticité dans un concept qui se veut nordisant. D’abord parce que le noir, utilisée par la chanteuse, était chez les vikings la couleur de la richesse et était une tenue rare. Donc est-ce le but premier, sinon le plus utile au concept, est de montrer une certaine richesse ? J’en doute. Je plaide plus pour une erreur. Et d’autre part, par la couleur des autres tenues et des casques ou « chapeaux » en fond : il était de coutume que les vikings ne portent pas de casques à corne, déjà, mais des casques normaux, arrondis, y compris dans le cas des « chapeaux », et surtout, la couleur, si elle est certainement là pour donner un peu de nuance et de « tape à l’œil », n’était elle aussi que très rare car réservées aux seigneurs (d’ailleurs, pour confectionner une tenue en lin, c’était déjà difficile, alors pour les teindre par la suite…) Moi qui plaidais pour un groupe moins cliché que les autres, je me retrouve à douter de l’authenticité des tenues qui sont, en plus, les mêmes sur scène. Je suis forcément un petit peu déçu… A moins que la volonté soit de situer le concept vers les cours des rois, c’est possible.
En fait, si on reste sur une logique de scalde, ces derniers étant plus les bardes à la cour des rois, les tenues ne devaient pas être aussi voyantes ou autant synonymes de richesse apparente. Donc, déjà, je pense que les connaisseurs en médiéval vont vraiment tiquer, ce qui n’est pas bon signe pour la suite… Mais si on reste simple, la pochette est très jolie sans plus et j’invite tous les fans « d’histo » à faire fi de cela pour se plonger dans ce retour en arrière mirifique.

Mais pour ce qui est de la musique, mon constat est beaucoup plus positif. S’il est difficile de trouver des documents attestant d’une structure musicale propre, tout le mérite en revient aux groupes du genre qui essayent de donner vie à une musique quasiment disparue. Et Skàld ne déroge pas à la règle car la part belle est donnée aux instruments d’antan qui sont des tambours chamaniques, une lyre, une talharpa, une citole, un jouhikko et un nyckelharpa. J’avoue être incapable de déceler lesquels sont utilisés à des moments précis mais je trouve la démarche plus qu’intéressante ! Si l’ensemble des treize compositions ne montre pas de grande originalité, elles sont tous aussi belles les unes que les autres. Le morceau dont est tiré un clip « Rùn » par exemple est très bon, de même que « Valfreyjudrápa » qui est mon préféré et « Niu » qui se veut envoutant.
Quand je dis qu’ils ne sont pas d’une immense originalité, j’entends par là les structures des morceaux qui sont souvent trop en boucle. Ils manquent un peu de changement en fait, les couplets tournent en boucle un peu trop souvent. Mais on se laisse vite bercer par les douces mélopées et les passages plus guerriers de cet album. Les sujets abordés étant variés, l’originalité se retrouve finalement dans la palette de morceaux différents proposée car chacun se démarque par son propre concept. La composition est mise au service de petites légendes à raconter, de petites oraisons ou même ce qui me semble être des odes chamaniques. Le chant des Vikings est typiquement un CD qui ferait la bande originale d’un film entier sans problème ! Mon seul bémol un peu plus sérieux reste la longueur assez étroite des chansons. Je suis resté quelquefois sur ma faim, en entendant la fin. Je suis convaincu que des morceaux un peu plus longs (certains durent à peine trois minutes) seraient un bonus évident pour les oreilles du public. Et cela laisserait une place indéniable à l’innovation dans les compositions, plutôt que de faire des couplets aux textes identiques qui tournent.

Mais pour moi, le point fort inoxydable de cet album reste les chants. Pour deux raisons : l’une étant la qualité, l’autre les textes chantés. Je suis complètement fan de la voix de Justine qui se veut à la fois puissante et chamanique. Quand on entend voix gutturale, on s’attend à une certaine puissance, et je crois sans hésiter qu’elle n’a rien à envier aux autres pour cette performance. J’oserai même dire que le chant lead porte énormément les morceaux légèrement fades pour redonner cette saveur de voyage qui forge l’album. Et la voix masculine de Matthieu est tout aussi roc et portante ; moi qui adore les voix graves, je suis servi. Il faut aussi noter que les deux voix se fondent parfaitement entre elles, sans erreur rythmique ce qui est une belle performance. Et la deuxième chose (et pas des moindres !) sont les textes en vieux Norrois. Certains vous diront qu’ils sont répétitifs sur les morceaux et manquent de profondeur métaphorique. Certes, mais comme expliqué en préambule, les poésies scaldiques brillaient plus par l’harmonie des mots que par les images véhiculées. Donc tout est raccord ici. Les textes écrits ou repris dans cet album sont chantés exactement comme je le voyais, à savoir avec une voix gutturale qui laisse évacuer toute cette foi et cette rage qui font de ces textes de magnifiques incantations. Je suis totalement sous le charme et je languis d’aller me frotter à un de leurs concerts pour attester de cette performance vocale !

Maintenant, je dois dire que j’attends la suite car je pense que parvenir à continuer ce travail de composition autour de la langue du vieux Norrois et des scaldes me laisse à croire qu’il va y avoir obligatoirement quelques ajustements futurs qui risquent soit d’être casse-figure, soit d’être incroyables, non pas que je remette en cause les capacités des musiciens à proposer autre chose mais la dimension commerciale et la petitesse des références directes d’un point de vue historique me laisse comme un gout de challenge à relever. J’attends donc la suite de pied ferme !

Vous auriez certainement deviné que le premier album de Skàld est un bel ouvrage. Je pense que la démarche de groupe est de nous emmener en voyage à travers le temps pour découvrir les coutumes ancestrales et nous faire toucher du doigt cette foi indicible que nous, hommes modernes, perdons petit à petit. Skàld a réveillé cette croyance en moi qui rendait hommage à la Nature et ces Dieux qui nous ressemblent, qui sont mortels et ploient devant elle. Je sais que certains d’entre vous n’auront qu’amertume devant la part commerciale de notre quatuor nordisant mais, ne vous en déplaise, il y a du bon dans le commercial et Skàld fait partie de la catégorie « très très bon » que je ne peux que recommander. Longue vie à vous !

Tracklist :
1. Enn átti Loki fleiri börn
2. Rún
3. Valfreyjudrápa
4. Níu
5. Flúga
6. Gleipnir
7. Krákumál
8. Ó Valhalla
9. Ec man iötna
10. Yggdrasill
11. Ódinn
12. Ginnunga
13. Jóga

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