Jours Pâles – Eclosion

Le 12 avril 2021 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


Christian Larsson : Basse / Phalène : Batterie / James Sloan : Guitares / Spellbound : Chant, Claviers, Composition Guests : Sylvain Bégot : Guitares lead / Ondine Dupont : Chant sur 5 / David Lomidze : Chant sur 8

Style:

Black Metal Mélodique

Date de sortie:

26 février 2021

Label:

Les Acteurs de l’Ombre Productions

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

« Tout comme il y a deux versions à chaque histoire, il y a deux versions à chaque personne. Une version que nous révélons au monde et l’autre que nous gardons cachée… Une dualité gouvernée par l’équilibre de la lumière et de l’obscurité. Chacun de nous a la capacité d’accomplir le bien et le mal mais ceux qui sont capables de brouiller la ligne de division morale détiennent le vrai pouvoir. » (Emily Thorne)

Est-ce que cela vous est déjà arrivé d’avoir envie d’écouter un CD avant même de savoir qu’il existe ? Du genre, vous lisez une interview ou vous découvrez un documentaire et vous vous dites, rien qu’à la personnalité du protagoniste, que vous avez fortement envie d’aller découvrir son univers musical. J’en ai fait l’expérience il y a peu. Je devais faire cette chronique ce mois-ci mais j’avais placé l’album intéressé sur ma liste pour des jours un peu plus lointains, vu que nous avions raté la sortie officielle ou que le label nous l’avait envoyé après, ce qui arrive fréquemment. Donc je n’étais pas spécialement prédestiné à faire cette chronique aujourd’hui. Et puis, hier soir, je suis tombé sur une interview faite par nos confrères de Radio Metal où le musicien initiateur de ce projet se livrait un peu. Suffisamment en tout cas, sur ses problèmes d’addiction et de dépression, pour que je me sente soudainement plein d’empathie. Celle que j’usite au boulot, où je me rends compte que derrière ce mystérieux personnage que j’avais vu pour la première fois à Grenoble, lors d’un concert à l’Ampérage avec son autre groupe, il y a une personnalité un peu tourmentée qui fomente de la création artistique absolument magnifique. J’ai donc eu réellement envie de bien connaître ce musicien, qui m’a touché sincèrement dans son discours et son regard sur la vie plein de sensibilité. Ce n’est pas tous les jours que je suis touché à ce point, le fait est que je garde mon empathie pour le travail sinon je me bousille intérieurement au quotidien, comme tout Haut Potentiel Intellectuel qui se respecte… Mais je ne pouvais pas faire autrement, ce premier album de Jour Pâles, initié par son créateur et musicien génial, je me devais de le faire rapidement. Dont acte !

Et ce musicien, c’est Spellbound, leader habituel des groupes Aorlhac et An Norvys (à la batterie) et des anciens groupes Towersound et Asphodèle. C’est d’ailleurs plus ou moins sur les cendres de ce dernier et pour marquer une sorte de continuité artistique sans reprendre ce nom, que Jour Pâles est né puisqu’il s’agissait du nom de l’unique album d’Asphodèle. Le moins que l’on puisse dire dans un premier temps, pour présenter ce nouveau projet metal signé chez Les Acteurs de l’Ombre, c’est que Spellbound a su s’entourer de musiciens forts bons. Avec Christian Larsson à la basse (qui officiait déjà chez Asphodèle), ancien membre de plein de groupes mais surtout de Shining (le norvégien) et de James Sloan à la guitare, membre actuel d’Uada et de tout un tas d’autres groupes, sans compter les trois invités sur l’album comme Ondine, chanteuse de Silhouette et ancienne de BovarySylvain Bégot membre fondateur de Monolithe et puis… David Lomidze, chanteur génial de Psychonaut 4. Franchement, sur le papier, ce premier jet appelé « Eclosion » s’annonce comme un pur album. Je dirais presque que l’on peut considérer Jour Pâles comme une sorte de « super groupe » au vu du pedigree et du talent de chacun mais je pense que cela va plus loin encore : c’est un groupe, tout simplement. Une vraie entité qui voit son « éclosion » se produire avec une musique qui ne peut que nous plaire, surtout si l’on est adepte comme moi d’albums conceptuels et personnels. Je me lance donc avec une impatience non-dissimulée dans l’écoute !

A commencer par la pochette de l’album. Pour l’anecdote et de ce que j’en ai compris, c’est une vraie photo, donc l’arbre avec cette forme si singulière, existe vraiment. Je suis très curieux de savoir dans quel endroit du monde une beauté pareille a été créée par dame Nature. Le choix de cette photographie démontre un goût très prononcé pour la recherche de symbolique et pour une espèce de dualité entre une certaine mortalité et une réassurance. Comme si cette Nature autodestructrice était surtout un formidable vivier de douceur et d’apaisement. Je suis notamment frappé par le contraste entre cette Nature morte, représentée par cet arbre presque épineux avec ses branches cassées, et la luminosité de l’environnement, qui me donne le sentiment d’être une berceuse luminescente. Et cette personne nue, en position fœtale, enveloppée dans le fût, me fait penser effectivement à une sorte d’éclosion, de naissance, mais aussi à ce qui s’apparenterait à de la recherche de sécurité. Comme si cette personne voulait disparaître aux yeux du monde. Cette dualité qui existe donc dès l’interprétation possible de l’artwork, j’adore. En fait, là où le génie opère, c’est qu’en une seule photographie, le décorum est planté de manière assidue. On sait que l’on aura un album « intelligent », philosophique et surtout très authentique. Et rien que pour cela, je valide l’artwork largement. En plus d’être magnifique, ce dernier est rempli de possibilités d’interprétation et permet directement de pénétrer l’univers secret de l’artiste Spellbound. Un choix d’artwork très judicieux qui en dit long sur la suite !

Et la suite, c’est une musique extrêmement éclectique. Je vous le dis d’avance : les puristes peuvent aller tranquillement s’enfiler une tête de bouc dans leur cave et nous laisser adorer cet album. Parce que la musique est tout sauf facile à cataloguer et, pour une fois, c’est tant mieux ! Il va tout de même falloir essayer de le faire, je vais donc m’y employer tout en prenant des pincettes, histoire de ne vexer personne. C’était presque une évidence que la musique prenne ses racines – si je puis dire – sur un terreau black metal notamment avec cette sonorité qui me surprend par sa propreté et par son aspect incisif très marqué. Mais surtout, la musique est très mélodique, sonnant très Uada avec des enchainements de riffs et de soli assez rapides, quelques passages harmoniques, et ce côté peu agressif à la batterie qui donne donc une place très prononcée aux mélodies des guitares. Ce qui me frappe dans cette première écoute c’est l’enchainement des morceaux. L’album est conceptuel, c’est flagrant, mais il fonctionne, contrairement à ce qui se fait d’ordinaire, comme des chansons à part chaque fois, sans réel lien. C’est surprenant parce que l’album s’écoute vraiment super bien, sans pause, et surtout sans cette cohérence qui rendrait fluide le tout. Comme si l’osmose existait dans la différence ! Encore cette dualité qui m’est chère et qui m’a conquis tout de suite. On est donc sur un black metal mélodique, avec des incorporations rock importantes et un jeu de sonorité qui laisse une trace émotionnelle puissante. Un album qui, via ses invités, jouit aussi d’une richesse d’approche artistique qui m’a scotché. Le chant féminin d’Ondine, que j’ai plus l’habitude d’entendre en scream, m’a bouleversé. De même que l’apparition de David Lomitze en high scream est énormissime. Bref ! Un album extraordinairement poétique qui met d’accord tout de suite, dès lors que l’on est un peu ouvert d’esprit, et qui surtout confirme tout le bien que je pensais de Spellbound artistiquement parlant. Magnifique !

Connaissant le sérieux et la passion du label Les Acteurs de l’Ombre, il était évident qu’un soin exceptionnel serait mis sur cet album en termes de production, surtout au vu des enjeux nostalgiques autour d’Asphodèle ! Ainsi, nous avons un son très carré et très propre, avec une occupation du spectre sonore quasiment parfaite, du moins sans fausse note apparente. L’ensemble est très harmonieux, avec une ascendance un peu entre le post-black metal et l’atmosphérique, donc un son linéaire et constant, qui fait planer et qui ne se voit coupé que par les alternances de riffs en clean, les introductions calmes et les fins de morceau. Je me répète mais on voit bien qu’il y a une influence très black metal américain, pour ne pas dire le nom, derrière le son des guitares et de la batterie. Un côté presque chirurgical qui permet de donner à ce premier album une production excellente, d’une très grande qualité et d’un soin qui rendrait envieux bien des groupes. Je n’en attendais pas moins ! Mais sincèrement, je suis toujours surpris de voir de quoi sont capables les labels et / ou les groupes quand il s’agit de produire leurs albums. Du bon taff en tout cas.

Je dois admettre qu’après plusieurs écoutes, la tentation d’étiqueter béatement Jour Pâles comme étant du post-black metal m’a traversé l’esprit. Parce que j’ai l’impression d’être très réducteur en restant focalisé sur du black metal mélodique mais simple. En fait, les variations rock et les ajouts de passages en clean, et cette prédominance non-voulue (ou si) d’une sorte d’ambiance atmosphérique, font que par moment j’ai été tenté de me dire et d’écrire que le groupe officie dans la mouvance bien à la mode d’un post-black metal. Sauf que, je trouve que c’est péjoratif d’étiqueter un groupe selon « ce qui se fait le plus en ce moment », et que c’est très insultant pour Spellbound. Du coup, je ne sais pas… Et je trouve cela génial ! L’album est une sorte d’hybride musical qui s’écoute sans faille, et je me régale. J’ai vraiment le sentiment d’englober dans ma couche épidermique toute la misère et toute la détresse de Spellbound. Ce qui surtout me saute aux yeux, c’est qu’il essaye d’insuffler selon moi une sorte de duel entre d’un côté les moments de grande souffrance psychologique que l’on traverse dans une existence, et les périodes d’accalmie qui font du bien, qui fonctionnent comme une réminiscence positive. De fait, dans chaque morceau il y a des riffs « positifs » et des riffs « négatifs », ce qui confère un ensemble harmonieux et étonnant. En tout état de cause, cet album est une pure merveille et s’écoute véritablement comme on lirait un recueil de poésie : par à-coups et avec des plaisirs éphémères.

Il va sans dire que les musiciens qui composent cet album sont excellents. J’ai parlé brièvement en présentation de Jour Pâles du pedigree le plus glorieux pour chacun, évidemment un peu réduit tant certains sont hyperactifs de la scène metal. Ce qui est étonnant, c’est d’être arrivé à rassembler tout ce petit monde, venu de pays différents et quelque fois, d’horizons metal différents. Cette alchimie est bluffante, même si l’on retrouve une marque plus prononcée pour le côté black mélodique. En tout cas, c’est comme si vous sampliez les instruments de chaque groupe et que vous les rassembliez presque tels quels dans un seul CD. La technique vocale tortueuse de Spellbound mélangé aux jeux de guitares d’Uada, une batterie plus classique mais sans abus de violence, une basse discrète mais quand même importante et mélodieuse, sans compter cette voix féminine qui pour le coup m’a mis par terre (Bovary et son leader devraient s’en mordre littéralement les doigts de l’avoir perdue), et ce chant hurlé énorme de Psychonaut 4, vous mélangez comme une mayonnaise maison et vous obtenez un truc de fou. Je suis épaté non pas par le talent des musiciens parce qu’il était bien entendu qu’ils l’étaient toute et tous, talentueux, mais par cette alchimie quasiment parfaite qui abonde dans l’album. Comme si les choix de Spellbound était non seulement extrêmement intelligents, mais surtout visés juste, pile-poil ce qu’il faut ! Du génie, qu’on vous dit !

Et le chant… C’est du petit lait à ce stade. Techniquement parlant, ce que j’adore chez Spellbound, ce sont les imperfections. Cela peut surprendre de le dire ainsi, mais la voix enraillée amène toujours des petits moments de démaillage qui sont, dans cette production mais aussi dans celles d’Aorlhac par exemple, totalement opportuns. J’en ai parfois un peu marre des voix retravaillées à outrance en studio, censées sonner comme un truc ultra niquel, et qui au final nous lasse forcément parce qu’on n’en a marre des trucs trop nec plus ultra. Ici, toutes ces émotions contraires qui explosent comme un volcan, c’est beau. Que dis-je, c’est beau ! C’est magnifiquement beau ! Cela donne un côté authentique, cette fameuse sincérité artistique que l’on ne trouve quasiment plus dans le monde artistique où tout doit être beau… Moi, je m’en fous de la super technique ! Tant que les imperfections sonnent comme une émotion honnête, sans tricherie aucune comme ici, j’adore tellement. Donc vous l’aurez compris, un chant qui m’a absolument conquis.

Je ne pouvais pas clôturer cette envolée lyrique qui m’a submergé sans évoquer les textes de l’album. Essentiellement basés sur des états d’âme, plus proche d’ailleurs du vague à l’âme, ces derniers m’auront également mis un énorme coup de massue sur la tête. D’abord, par l’aspect versaïque et rythmiques, des textes d’allure poétique, sans abus de métaphores ou de symboliques, mais qui sont phonétiquement parlant très beaux, très justes surtout. Et enfin, parce que les textes semblent toujours d’adresser à quelqu’un. Certains le sont, si l’on lit l’interview dont je parlais en haut, mais d’autres sont plus là pour personnifier selon moi des émotions ou des pensées, pour humaniser ces dernières et les rendre accessibles à la compréhension et l’échange. Spellbound a ce talent pour donner vie à des entités protectrices ou souffreteuses, à la manière d’un Mathias Malzieu dans son livre « Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi« . J’ai été très éprouvé par les textes puisqu’en tant qu’infirmier empathe, je suis soumis aux émotions des autres et si en temps normal dans mon travail je maintiens une distance qui me protège tout en accompagnant les gens du mieux que je peux, quand il s’agit d’un ouvrage artistique comme un film ou une musique, je lâche mes barrières. Aussi, je peux vous le dire : les textes de Jour Pâles m’ont bouleversé, mais m’ont aussi redonné de l’espoir. Même si ce dernier réside principalement dans la mort ou le repos. En tout cas, j’ai tout simplement adoré les textes de cet album, j’aimerais d’ailleurs que les gens s’y intéressent autant que moi pour trouver la résurgence nécessaire pour affronter cet album.

Je termine ma diatribe sur une note bien plus que positive. « Eclosion« , premier album de Jour Pâles s’impose selon moi comme le plus gros projet musical de Spellbound depuis longtemps. Loin de moi l’idée de faire offense à Aorlhac ou Asphodèle, pour ne citer qu’eux, mais cet artiste de génie a selon moi sorti sa meilleure invention. Un ouvrage complet, sur tous les plans, une musique difficile à cataloguer mais qui jouit d’une force émotionnelle tellement grande que l’on n’en ressort pas indemne et l’on se fiche des convenances et des bien-pensances ! Tout dans cette « Eclosion » respire la dualité de l’existence, la lumière et la nuit, la solitude et la présence. Un album qui fonctionne comme une résurgence salvatrice, avec un regard critique sur le combat singulier des anamorphoses de la vie et de la mort, dans leur souffrance commune. Jour Pâles signe-là une sortie exceptionnelle, poétique et symbolique, sur laquelle je me plongerai volontiers à chaque coup dur. Un album-médicament qui fait du bien ! Merci à toi Spellbound pour cette superbe thérapie partagée.

Tracklist :

1. Illunés 05:29
2. Aux confins du silence 06:12
3. Ma dysthymie, sa vastitude 05:07
4. Le chant du cygne 06:58
5. Eclamé 05:12
6. Éclosion 05:35
7. Suivant l’astre 05:29
8. Des jours à rallonge 06:17
9. C2H6O 03:58

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