Wyatt E. – āl bēlūti dārû

Le 18 mars 2022 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • Stéphane Rondia : guitare, basse, synthétiseurs, programmation
  • Sébastien von Landau : guitare, synthétiseur
  • Guest :
  • Y. Tönnes : saxophone

Style:

Drone Metal Oriental

Date de sortie:

18 mars 2022

Label:

Stolen Body Records

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

Israël a la mémoire de ses malheurs, et si Israël n’avait pas sa foi, il ne serait peut-être plus que la mémoire de ses malheurs.” Eric-Emmanuel Schmitt

Je baigne dans un environnement décidément très oriental depuis quelques jours. Ce n’est absolument pas fait exprès, le jeu des releases du jour a fait que j’avais deux chroniques à faire de groupes estampillés « musique orientale ».
Après avoir divagué avec un gérant de label qui se voulait très croyant et qui m’avait donné une belle leçon sur l’époque pré-babylonienne, je me retrouve donc depuis quelques jours à disserter autour de musiciens ou groupes orientaux. Et loin d’imaginer que les groupes de là-bas n’existaient pas ou peu, puisque je sais que c’est faux tant la musique (metal) peut être universelle, je suis quelque peu surpris de l’engouement qu’il va y avoir pour les albums de groupes de cet horizon-ci pour le mois de mars. Quand on connaît les difficultés de certains, comme le groupe Confess d’Iran ou Al-Namrood d’Arabie Saoudite qui se veulent anti-Islam (c’est vous dire les risques qu’ils prennent !), on se dit qu’ils sont bien courageux et que certains groupes qui s’imaginent persécutés devant leur anticléricalisme (suivez mon regard) feraient mieux de la boucler sévèrement et on devrait encourager ce genre de sorties qui défient les lois ségrégationnistes de certains pays. On pourrait d’ailleurs parler de ces groupes qui ont dû s’exiler simplement pour faire de la musique sans pour autant risquer leurs têtes sur des pieux comme le groupe Arsames toujours en Iran. Je ne suis pas là non plus pour faire du prosélytisme ou de la politique mais sur un contexte géopolitique aussi sensible, il convient de rappeler que tous les jours, des gens et particulièrement des musiciens luttent pour leurs droits dans certains autres pays. Il est bon de s’en souvenir, de temps en temps…
Bon ! Maintenant que j’ai bien niqué l’ambiance comme on dit, on va passer au vif du sujet, à savoir une chronique pour la sortie prochaine de l’album « āl bēlūti dārû » du groupe Wyatt E. On nage en plein mimétisme oriental n’empêche, j’aime ça !

Wyatt E. est un duo de musiciens, anciennement un trio mais qui a connu le décès tragique de l’un des leurs, Roamin Hoedt qui nous a quittés en 2018 (29 ans, c’est tellement jeune…), et qui se localise en Belgique mais qui a jeté ses premières bases à Jérusalem, la Ville Sainte en Israël (du moins, c’est ce que l’on croit, voir plus bas). Des origines qui se retrouvent totalement dans la musique de Wyatt E. mais j’y reviendrai. Le groupe existe depuis 2015, avec un EP sorti la même année et un premier album nommé « Exile to Beyn Neharot » en 2017. Mais suite au décès de leur membre créateur, le groupe qui officie donc désormais comme un duo, aura mis cinq années de plus pour sortir ce deuxième album nommé « āl bēlūti dārû » (La Ville Eternelle en akkadien), chez Stolen Body Records.
L’explication de cet univers si particulier et cette imagerie que l’on découvre dans le dossier presse et qui frappe par sa solennité, le groupe lui-même le résume à merveille ici : « Pourquoi écrire l’histoire de l’Empire néo-babylonien ? La réponse est assez simple. 588 av. J.-C. Le sac de Jérusalem par Nabuchodonosor II et l’enlèvement de l’élite juive de l’époque à Babylone est le point de départ de tout cela. Nous avons été frappés par ce morceau d’Histoire et avons décidé d’écrire notre musique avec cette période. Comme bande son de l’Histoire. Comme une connexion avec le Saint. » Mais également ici : « Entre-temps, nous avons également eu cette idée d’un groupe renouant avec les origines juives de l’arrière-grand-père d’un des membres de notre groupe, un juif ashkénaze d’Europe de l’Est originaire de la communauté mizrahi de Syrie.[…] Nous n’avions pas d’idée claire sur la façon d’atteindre cet objectif à l’époque. Notre musique sonnait vaguement « orientale » et j’ai simplement épinglé Jérusalem comme notre ville natale afin que personne ne puisse nous retrouver depuis la Belgique. » Voilà, je crois qu’il est bon de citer les groupes quand ils résument tout aussi bien à ce point. Maintenant que vous en savez plus, passons à la musique.

Mais pour commencer, histoire de faire une mise en bouche habituelle, je vais vous parler de la pochette de ce deuxième album qui sent bon Babylone et la Mésopotamie ! Enfin, je crois.
En tout cas, l’iconographie ne laisse guère de place aux doutes, si ce n’est cette présence plutôt étrange d’un dragon. Ce n’est pas tellement le genre de créature mythologique que j’aurais imaginé pour décrire Babylone, du moins comme je le crois, qui met la ville sous sa protection en la mettant sur son dos. Ce qui signifierait que Babylone serait sous la protection de cet animal incroyablement mythique. Et puis, c’est en découvrant la traduction des deux pistes que j’ai fini par comprendre qu’il s’agissait probablement du serpent-dragon Mušhuššu, qui symbolise la divinité babylonienne Marduk. Le côté nocturne fait penser aux ténèbres et le fait de mettre devant un Soleil ou une Lune c’est selon, la ville Éternelle de Babylone, tout cela apporte une dimension légendaire et ancienne du plus bel acabit ! Du reste, j’aime bien que ce serpent-dragon chevauche la ville sur son dos vers un décor plus désertique, plus « vide », comme si cette ville était vouée à un destin funeste malgré la protection (fallacieuse?) de Marduk.
Voilà donc que tout s’éclaire pour comprendre cet artwork très beau, sur un style graphique qui ne laisse pas vraiment de place à la fioriture, mais qui met en avant l’aspect probablement traditionnel de la musique de Wyatt E. On va avoir droit à un truc très ancestral, ambiant et surtout un brin ésotérique. En tout cas, si la présence de ce dragon géant laisse un peu dubitatif au début surtout pour les néo-connaisseurs du groupe belgo-israélien, il n’en demeure pas moins qu’une fois un petit rappel historique effectué, tout prend son sens.
Cet artwork est pour le moins intrigant et donne envie d’aller plus loin, on peut ainsi considérer que la pochette qui drape magnifiquement « āl bēlūti dārû » a rempli sa mission de piquer la curiosité de l’auditeur ! J’aurais juste aimé que Wyatt E. mentionne le nom de son album sur la pochette, histoire que l’on comprenne justement l’univers et que cela rajoute une touche encore plus à propos de mésopotamien dans cet album prometteur.
On passe à la suite !

Sur le papier, Wyatt E. propose une musique portée par un drone metal, voire doom metal selon les intérêts. En vérité, c’est beaucoup, mais alors beaucoup mieux que cela ! La musique de Wyatt E. ? C’est surtout un appel à remonter le temps. Un retour à l’époque babylonienne, sur les décors désertiques et légendaires de la Mésopotamie, et toutes les croyances inhérentes. Loin de se contenter de faire un drone metal minimaliste et un doom metal lent, le groupe nous propose une formidable épopée auditive. Incorporant une musique orientale qui se veut surtout traditionnelle le plus possible, avec quelques instrumentations expérimentales surprenantes (un invité qui se nomme Y. Tönnes et qui joue du saxophone !), mais loin d’être incongrues, le tout fonctionne comme une incroyable bande-son, deux pistes longues mais extraordinairement ambiantes, avec des atmosphères qui ne sont ni sombres, ni joyeuses. Juste la retranscription par la musique de la grandeur de Babylone, et du pouvoir divin incommensurable de la divinité originelle Marduk. Lorsque l’on ferme les yeux, la dimension spirituelle saute aux oreilles. Indéniablement, Wyatt E. propose sa vision de la grandeur de cette Ville Éternelle via des instrumentations aux claviers dignes des meilleures bandes sonores de films péplum, cette basse qui notamment sur le premier morceau installe progressivement et de manière minimaliste une atmosphère mystique, langoureuse et envoûtante, pour amener la suite qui s’avère être une immense obédience musicale.
J’ai surtout adoré cette montée progressive de la musique, qui atteint toujours un paroxysme vers le milieu-fin des deux pistes, redescendant en douceur pour ne laisser place qu’à de petites touches ambiantes de bon aloi. On a un morceau qui rend hommage, comme une cérémonie annuelle, au serpent-dragon de Marduk, et le deuxième qui fonctionne comme une marche vers la guerre, transcendant l’auditeur par l’impression que derrière cette démonstration sonore de puissance il y a un grand roi qui pourrait d’ailleurs bien être Nabuchodonosor II.
En fin de compte, cette première écoute a été tout simplement superbe. Les ambiances sont exceptionnelles, et l’aspect oriental qui m’a toujours attiré (Karl Sanders, si tu me lis je t’aime !) est non seulement le nec plus ultra de « āl bēlūti dārû » mais se marie parfaitement bien avec les éléments drone metal qui sont prépondérants quand même.
Une très belle découverte pour moi.

La production, si tant est qu’il y en ait une réelle dans ce registre drone metal ambient, est excellentissime. Je parlais de comparaison avec les bandes-son de certains films genre blockbusters ou anciens péplums, mais c’est tout à fait cela ! Je parle pour la majorité des passages des compositions, cela ne fait absolument pas l’ombre d’un doute que les pistes sont composées essentiellement de passages instrumentaux. Pour ce qui est de la sphère drone metal, je dirais que l’ensemble instrumental fonctionnant un peu comme un orchestre philharmonique, c’est à dire que tous les instruments y compris les saturés sont censés fonctionner ensemble dans une harmonie consciente, le drone metal se greffe à merveille avec le reste.
La basse est l’une des pièces maîtresses de la composition, avec un rôle très rythmique mais surtout minimaliste, en faisant tourner en boucle et notamment sur le premier morceau une mélodie simple et hypnotisante, rythmée et rebondie, faisant fi de son utilisation habituelle et servant de marqueur commun. Les guitares sont dans leur rôle, soit dans un instant de balancement d’accords en discontinu, sur des éléments très longs et dissonants, avec néanmoins une petite nuance pour le deuxième morceau où les parties drone metal sont moins longues, moins linéaires, plus saccadées que dans le premier. La batterie ou les percussions c’est selon sont bien à propos et ne dénaturent pas du tout le reste, les rythmiques sont essentielles dans ce registre drone metal et musique instrumentale pour servir de marqueur prononcé de la rythmique permettant de casser les moments très lents.
En fait, c’est en cela que « āl bēlūti dārû » est un excellent album. Wyatt E. a réussi à greffer le drone metal si spécial dans une démarche instrumentale d’ordinaire un peu trop carrée pour laisser la place au reste. C’est un très bel exploit, porté probablement par la motivation et la spiritualité des musiciens ! Une production à faire écouter au plus grand nombre tant l’exploit est remarquable.

Étant donné le peu de pistes, d’une longueur plutôt habituelle pour du drone metal, j’ai réécouté l’album pas mal de fois, et j’en suis arrivé à une affirmation quasiment certaine, celle qui parle de la place de la spiritualité dans « āl bēlūti dārû« . C’est à dire qu’assurément, ce n’est pas qu’un simple album, Wyatt E. y a mis toutes ses tripes et son cœur dans ce projet hors norme, totalement déconcertant par son côté truculent et grandiloquent, mais tellement génial et tellement puissant qu’on en reste pantois d’admiration. Outre les compositions qui ont ce côté progressif dans le cheminement, c’est toute la musique qui se met au service d’un cheminement justement spirituel. On s’immisce dans les croyances, on voyage dans le temps et on s’aperçoit que cette Babylone avait quelque chose de magique. Wyatt E. nous parle d’histoire, de religion et de force personnelle.
C’est ce que je retiens principalement de cet album. Sur le plan musical, cela n’est jamais banal de faire dans la musique orientale dans un registre musical au départ essentiellement empreint de christianisme, de son contraire et parfois d’Occident tout simplement. Et quand un groupe parvient à faire vibrer le bon Européen que je suis, il faut y voir un gage de réussite certain.
Maintenant, il m’est tout simplement impossible d’avoir plus de mots pour parler de « āl bēlūti dārû« , c’est juste un véritable chef d’œuvre.

C’est donc sur cette note extrêmement positive que je vais mettre un point final à cette chronique, étant donné l’absence de chant, je finis plus vite. Mais plus fort !
Wyatt E. propose bientôt en sortie officielle ce deuxième album qui répond au doux nom de « āl bēlūti dārû« . Un album qui s’annonce d’emblée comme un CD extraordinaire. Outre la sphère musicale qui est indubitablement un truc génial et d’une force incroyable, c’est surtout tout ce qui gravite autour que je trouve époustouflant. Cette obédience à la religion et à Babylone, je trouve que cela colore la musique d’un charme fou. Un drone metal fortement enrobé de musiques orientales et traditionnelles, avec évidemment quelques petites inspirations plus saugrenues comme un saxophone par exemple, mais qui surtout dégage une puissance incroyable, une force de création artistique où l’on sent que les tempêtes intérieures et la volonté de spiritualité des musiciens ont franchi le cap nécessaire de la pudeur pour nous proposer une musique exceptionnelle, authentique, riche et solaire.
Wyatt E. est un groupe tellement talentueux que je suis en pâmoison et je tiens à dire que je vais suivre le groupe de très près.
Exceptionnel, un immanquable du genre.

Tracklist :

1. Mušhuššu
2. Šarru Rabu

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