Line-up sur cet Album
A.S.H. : Tout !
Style:
Black MetalDate de sortie:
1er novembre 2025Label:
Chapitre XIIINote du SoilChroniqueur (Vince le Souriant) : 9/10
« Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. — Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal »
(Voltaire – Candide)
« Néant« .
Ainsi s’intitule l’album sur lequel votre humble serviteur s’apprête à débiter, en toute bonne conscience, quelques centaines de mots. Ce n’est pas rien, quelques centaines de mots. Ça représente, c’est certain, des heures de travail, des recherches, un ou deux verres de rhum et quelques barres de chocolat.
Le tout pour vous donner des impressions – peut-être même, soyons fous, un début d’analyse ! – sur trois gros quarts d’heure de musique.
Rien de comparable à l’énergie qu’il faut pour écrire, composer, enregistrer un album.
Un album, une chronique, tout cela est à coup sûr insignifiant dans le tumulte du monde, mais ce n’est toujours pas rien, nada, RAS, queutchi, nitchevo niet, néant. Alors pourquoi diable intituler cela « Néant » ? Eh bien parce que ce titre est à mi-chemin entre le constat et le souhait.
Mais pour le comprendre, il faut connaître le projet, Obscurité, dont « Néant » est le cinquième album.
Obscurité, c’est le projet d’un homme, A.S.H., qui l’a monté en 2013.
Disons d’abord que le musicien a toujours su s’entourer. Au jeu des sept familles du Black Metal, il est de ceux qui ont pioché pas mal de cartes, et pas des plus vilaines. Ainsi, les trois premiers albums créditent à la batterie Fog (Cénotaphe, et tant d’autres projets), qui les a d’ailleurs sortis sur son propre label, Ossuaire Records. En concert, les baguettes ont été tenues par Sad (Cantus Bestiae, Inkisitor, Chemin de Haine, S.V.E.S.T.).
Quant au présent album, il a été mixé et masterisé avec un talent digne des plus grands par Septev Hadron (Hrad, Stellar Forest, Outland Hill), qui avait déjà travaillé avec Cryo, frère d’A.S.H., sur l’album « Rise of a New Kingdom » d’Eminentia Tenebris.
On y trouve également Sakrifiss, en feat. sur « Abomination ». Enfin, le tout sort sur Chapitre XIII, label d’un certain Sorcier du Berry (Le Coven du Carroir). Il n’est donc pas seul, l’artiste. Peut-être d’ailleurs ne l’est-il jamais tout à fait, à l’instar de bon nombre d’entre nous, guettés que nous sommes par des démons divers.
Les démons d’A.S.H., eux, ont juste des griffes plus acérées, des grimaces plus tordues, sont en tout plus menaçants que les nôtres…
Pour poursuivre son portrait, disons que le Black Metal se divise en deux mondes : les posers et les gens sincères. A.S.H. appartient à la deuxième catégorie, au camp de ceux qui composent parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, parce que ce serait pire sinon, parce que c’est un moyen, aussi dérisoire soit-il, d’éloigner la souffrance. Ces quasi quarante-huit minutes sont une purge, une saignée comme celles qu’on administrait du temps de Molière, un de ces actes de soin qui font pire que mieux et pourraient vous faire crever. Poncif de dire qu’un musicien de BM écrit avec ses tripes ? Assurément ! Sauf qu’ici, tout est vrai. Matthieu 11:15 : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
Dans ce disque, la souffrance chante, comme la chair sur le gril. Dès « Plaie béante », le titre en ouverture, les guitares sont épiques, et convoquent pêle-mêle Caladan Brood, Summoning, ou le souffle extravagant qui parcourt « Les Blessures de l’âme » de Seth. Il faut que le Black Metal soit grandiose ou ne soit pas. Qu’elle est loin, la démo de 2011, toute en agonies ! Ici, le martyr s’est défait de ses chaînes et éblouit ses bourreaux. Les tisons qui torturaient le Saint semblent bien ternes en comparaison de l’éclat qui brille dans ses yeux et dans ces mélodies.
Autre ambiance sur « Gris ». Moins désespérées que le groupe homonyme, les paroles ne respirent pas la franche gaieté pour autant, créant une dissonance surprenante avec la musique quasi stellaire, sorte d’histoire de l’univers en accéléré. On n’avait pas connu tel écart depuis les Smiths.
A nouveau sans transition (ne cherchez pas, il n’y en aura pas) s’ouvre « Souvenirs sans avenir ».
Et que dire ? Si les titres s’enchaînent sans souci apparent de logique, la même esthétique est à l’œuvre au sein de cette piste, où se succèdent passages de chant black cauchemardesques et longues plages de guitares acoustiques venues d’un au-delà idyllique. Récit d’une tranche de vie, la musique colle au réel. Allez donc lui faire le reproche d’être injuste ou décousue ! Le vrai, c’est ce qui résiste, ce n’est pas là pour être beau ou pour plaire. Et pourtant… Ecoutez-bien, un trésor n’est plus un trésor s’il n’est pas un tant soit peu caché.
N’aimant guère plus les liaisons que le musicien que je chronique, je vous propose de vous pencher maintenant sur « Devant mes yeux le cosmos », titre Pascalien en diable ! « Le silence de ces espaces infinis m’effraie » disait le philosophe, avant de se jeter dans les bras de Dieu. Oui, le cosmos est un grand vide tout froid, immobile, et la musique d’Obscurité le fait ressentir. Toutefois, le κόσμος, c’est également ce qui est ordonné, ce qui est beau, racine que l’on retrouve dans ‘cosmétique’. Et ça aussi, A.S.H. le donne à sentir, même lorsqu’il chante « les Dieux sont morts avec moi, abandonné pour toujours ». Toutes les choses ont une fin. Elles n’en sont que plus belles.
Sombre, cet album d’Obscurité ?
Il y a pourtant dans ce disque une lumière scintillante, une de celles qui rend par contraste les ténèbres plus palpables. D’ailleurs, n’est-ce pas l’alternance entre le jour et la nuit, entre le noir et la clarté, qui est à l’origine de toute vie ? Et la vie, n’est-ce pas l’opposé du néant ? « Abomination » convoque une créature qui en connaît un rayon sur les ténèbres, formées d’ombres ou pas ; un être si abject qu’il n’apparaît qu’avec un jean sur la tête, Sakrifiss (à qui vous passerez le Malsoir de ma part). Au-delà du folklore et des clins d’œil, ses quelques lignes de chant aigre feraient passer n’importe quel vinaigre pour du sirop. Les marmots les plus récalcitrants avaleraient des litres de soupe rien qu’à l’entendre. Moi-même, il m’a foutu une peur bleue. Là encore, montagnes russes, les parties de guitares sont parmi les plus lumineuses, les plus douces, les plus angéliques qui soient. Obscurité, terre de contrastes !
« Je ne ressens plus rien sauf l’angoisse et la peur […] car je suis déjà mort ». « Nova » pose le thème. Nova ? « Étoile non visible à l’œil nu qui devient brusquement très brillante mais ne subsiste jamais avec l’éclat de pointe qui l’a fait découvrir ». La musique reste impressionnante, cosmique. Pas besoin de radiotélescope pour capter, grosse disto et rythme enlevé, on en prend plein les esgourdes ! …Jusqu’à la mort de l’étoile, sur les dix dernières secondes, avec son changement de tempo et de hauteur, faisant croire au début d’une nouvelle chanson.
Dupes que nous sommes, nous repartons sur « Chaos (étoile damnée) », qui semble reprendre un tout petit peu avant là où la piste précédente s’était arrêtée. Eh oui, une nova explose sans disparaître, elle reprend simplement son éclat primitif. « Quelque chose triomphera pour l’éternité ». Nous voilà rassurés. Montagnes russes encore, jusque dans les paroles.
Le final est, il fallait y parvenir, encore plus grandiose, encore plus épique que le reste « Tout n’est que néant » convoque son inverse, et réunit en un titre tous les éléments qui ont fait l’album : guitares acoustiques obsédantes, paroles apocalyptiques. Enorme pied de nez que d’affirmer que rien ne compte après avoir étalé une telle somme de talent.
Saint Laurent, condamné à servir de barbecue humain, aurait dit à son bourreau : « C’est bien grillé de ce côté, tu peux retourner ».
A.S.H. est de cette trempe, de ceux qui composent parce qu’il en va de leur vie, parce qu’il faut que ça sorte, mais aussi de ceux qui rient dans la douleur, qui gardent le cap quand tout va mal, ainsi qu’une étoile qui devient par moments très brillante avant de retourner au néant qui l’a vu naître.
Tracklist :
Plaie béante (4:52)
Gris (5:43)
Souvenirs sans avenir (6:37)
Devant mes yeux meurt le cosmos (6:01)
Abomination (8:40)
Nova (4:49)
Chaos (étoile damnée) (6:16)
Tout n’est que néant (4:56)
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