(Tremens)

A 19h30 la jeune formation lyonnaise Möbius entre en territoire ami puisque la foule accueille ses membres très chaleureusement. Après une courte intro instrumentale la chanteuse Héloïse, fébrile et radieuse, rejoint les musiciens sous les acclamations pour lancer les hostilités. Möbius joue du metal progressif symphonique et un poil orientalisant – ce dernier point, surtout mis en exergue par le chant varié de la belle et le clavier savoureux de Guillaume, n’étant pas étranger au charme et à la saveur du groupe. Il est à ce titre dommage que la voix d’Héloïse se perde dans le bruit ambiant lorsqu’elle adopte un registre plus grave, tant ces passages ont l’air du plus bel effet. Chaque musicien a l’occasion de briller durant ce très court set d’une demi-heure à peine, notamment pendant « Heretic Disaster », titre généralement plus rapide que le reste et au refrain pour le moins entêtant. On retiendra également « Brahmā » qui clôt la performance, titre le plus original du lot pour son intensité et son parfum oriental – mais qui est hélas parfois noyé par une sono approximative. On pourrait reprocher à Möbius les mêmes défauts qu’à d’autres jeunes groupes de metal progressif, à savoir la manie de vouloir trop en faire au sein d’un même morceau, moussant ainsi parfois l’efficacité d’une bonne idée par des changements intempestifs pas forcément nécessaires. Mais soyons indulgents : ils viennent tout juste de faire paraître une première démo, ils sont jeunes, talentueux, ont de bonnes idées et ont tout le temps pour mûrir. A surveiller de près par les amateurs de metal progressif et de la scène djent dont ils revendiquent l’influence.

Le second groupe, Blindead, est une révélation – de celles qui vous disloquent la mâchoire. Je n’avais jamais entendu parler d’eux avant ce soir, alors la claque n’en est que plus brutale. Il est vraiment difficile de poser une étiquette sur leur musique puisque les sept morceaux joués ce soir ne se ressemblent pas forcément tout en conservant une étrange homogénéité. Plusieurs groupes me viennent à l’esprit pendant leur performance (Paradise Lost, Daylight Dies, Cult of Luna – une fan évoquera plutôt Katatonia et Ghost Brigade après le concert) et pourtant la musique des Polonais ne ressemble à celle d’aucun d’entre eux. Elle se rapproche du sludge, du doom mélodique et du post-core et possède certainement la noirceur inhérente à ces styles. La voix de Nick est versatile et passe du chant grave et d’un spoken voice a la Moonspell à des hurlements hardcore ou death. Les ambiances électroniques souvent délicates proposées par Bartosz Hervy ajoutent beaucoup au mur de son produit par le groupe, composé de six membres dont Havoc (ex-guitariste de Behemoth, période « Zos Kia Cultus »). Ces derniers sont habités par une sorte de transe solennelle (et contagieuse) qui justifie l’absence totale de communication avec le public, sauf à la toute fin lorsque viendra le temps de remercier la foule. De magnifiques passages calmes précèdent souvent de lourds moments destructeurs et passionnés. Si je n’avais qu’un seul mot pour résumer leur musique et leur concert, ce serait : puissant. Une petite apocalypse a martelé nos oreilles ébahies et Leprous n’ont qu’à bien se tenir car ils risquent fort de se faire voler la soirée par ce groupe absolument prodigieux s’ils ne se montrent pas à la hauteur.

Les jeunes Norvégiens entament avec nous la dernière semaine de leur impressionnante tournée et comptent bien prouver à qui en douterait qu’ils sont infatigables. Ils commencent leur set de presque deux heures avec « Foe », long morceau d’introduction de leur récent opus « Coal », tout bonnement éblouissant. Les harmonies vocales de ce titre sont mises en valeur par une sono superbe, jouant sur les effets stéréos se répondant d’un côté de l’autre de la salle. Je dois d’ailleurs admettre avoir rarement entendu un effet aussi parfaitement cristallin dans une salle aussi modeste que le Ninkasi Kao. Le groupe enchaîne ensuite avec les titres les plus marquants du même disque, « The Valley » et « Chronic ». Deux constatations s’imposent alors. D’abord, le groupe et particulièrement le chanteur/claviériste Einar Solberg est beaucoup plus survolté et exubérant en concert que je ne l’aurais imaginé. Ce dernier dégage une énergie qui va encore au-delà de ce qu’on serait en droit d’attendre d’un tel talent et il n’hésite pas à grimper sur les caisses qui l’entourent pour s’imposer à la foule en liesse tel un empereur dément. D’ailleurs, plus le concert avance et plus on sent qu’il se lâche, dévoilant derrière ses faux airs de jeune Norvégien BCBG une personnalité en ébullition – et, qui sait, peut-être légèrement instable ? Ses comparses guitaristes Tor Oddmund Suhrke et Øystein Landsverk ne sont pas en reste, grimpant souvent simultanément sur ces mêmes caisses lors de certains passages pour le plus bel effet qui serait difficile à décrire avec justesse. Et tout ça sans jamais nuire à la musique bien entendu. Rien à reprocher au groupe pour leur présence scénique envoûtante donc.

Le second constat, cependant, est beaucoup plus mitigé et me prend d’ailleurs par surprise. Je réalise que les compositions de « Coal » – un album qui me charme, que j’écoute sans cesse et dont je peine à trouver un équivalent – perdent un je-ne-sais-quoi d’essentiel en concert. Ça n’a rien à voir avec la qualité d’exécution ou une quelconque perte d’éléments par rapport à la version studio, car dans les deux cas le rendu est pratiquement identique. Je crois plutôt que c’est la nature même de l’album, plus intime que ces prédécesseurs, et ses loooongues boucles d’harmonies vocales et de refrains répétés ad nauseam qui les rendent parfois redondantes live. En effet, force m’est d’admettre que je m’ennuie – un comble ! – pendant certains de mes titres favoris de « Coal »… alors que le groupe joue l’intégralité de l’album moins « Salt ». Je vous rassure toutefois, je n’ai pas l’impression que ce soit un sentiment généralisé dans la foule car autour de moi la majorité des gens semble vraiment prendre son pied.

De toute façon, le groupe ne joue pas que des titres issus du dernier album mais aussi de « Bilateral » et même de « Tall Poppy Syndrome » et là, la différence est plus que palpable : elle est viscérale. Le groupe se déchaîne réellement lorsqu’il joue ce répertoire beaucoup plus dynamique, voire endiablé. Une justesse d’exécution jouissive, notamment sur « Restless », « Thorn », « Acquired Taste » et surtout l’excellent « Waste of Air », joué en rappel pour clore cette soirée imparfaite mais mémorable. N’allez donc pas croire que je sois réellement déçu de leur prestation, mais j’avoue m’être attendu à ce que leurs chansons les plus récentes soient beaucoup plus marquantes qu’elles ne l’ont été. Qu’à cela ne tienne, je dois saluer bien bas la qualité du savoir-faire de Leprous sous les projecteurs et leur générosité à l’égard de leur public. Je me repasse maintenant « Coal » en boucle et je suis soulagé car la magie opère toujours malgré ce petit bémol. Ce qui, somme toute, est plus que bon signe et relativise mon ressenti du moment, quand on y pense…

Retour en début de page

1 Commentaire sur “Möbius + Blindead + Leprous (Lyon, Ninkasi Kao, 05 novembre 2013)”

  1. pingback pingback:
    Posté: 4th Nov 2015 vers 14 h 21 min
    1
    Leprous + Sphere + RendezVous Point (Lyon, Ninkasi Kao, 13 octobre 2015) | Soil Chronicles

Laissez un commentaire

M'informer des réponses et commentaires sur cet article.

Markup Controls
Emoticons Smile Grin Sad Surprised Shocked Confused Cool Mad Razz Neutral Wink Lol Red Face Cry Evil Twisted Roll Exclaim Question Idea Arrow Mr Green