C’est de Shining, le groupe norvégien et non son confrère suédois, dont il est question ici. Evoluant sans cesse, ce groupe a sorti cette année un album au style novateur et à la violence incontestable au nom évocateur de Blackjazz, définissant ainsi ce style si particulier que nous propose le groupe.

C’est dans les bureaux de l’équipe de La Maroquinerie que je vais avoir le plaisir de retrouver les norvégiens de Shining, presqu’au complet pour cette interview. J’entre dans la pièce, hésitant, et me retrouve face à un grand blond, Bert Moen (claviériste), et derrière lui, un petit barbu amusé, Torstein Lofthus (batteur), un rouquin souriant, Tor Egil Kreken (bassiste) et le chanteur saxophoniste Jørgen Munkeby. Ce dernier ne prendra pourtant pas part à l’interview et ira s’assoupir dans un coin de la pièce. Une fois les présentations faites, je m’installe et entame donc ce qui tiendra plus de la discussion que de l’interview avec ces trois sympathiques musiciens.

Bonsoir tout le monde. Je crois que c’est la deuxième fois qu’une tournée européenne vous amène à Paris, la première étant celle que vous aviez fait avec Enslaved. Que s’est-il passé depuis ce moment ?

Tor : C’est seulement la deuxième ? La dernière fois on n’avait pas …

Bernt : Non, on n’était pas passés par Paris la dernière fois.

Oui, oui, j’ai bien dis « à Paris ».

Torstein : Et bien, un nouvel album : Blackjazz !

Tor : Et des nouveaux membres, il me semble…

Bernt: Oui, lors de notre précédent passage ici, ce n’était pas le même line-up.

Torstein : Tous les membres sont nouveaux à part le chanteur et le batteur.

Bernt: Le groupe a également changé de direction musicale.

Tor : En fait presque tout est nouveau ! (rires)

Je vois ça, c’est une tournée complètement différente pour vous.

Torstein : Ouais mais le saxophone est toujours là ! (rires)

Oui, ça, ça s’entend rapidement ! Et après cette collaboration avec Enslaved, pour la tournée mais également pour le Armageddon Concerto durant le Roadburn Festival, puis avec votre nouvel album Blackjazz, beaucoup plus violent que les précédents, avez-vous l’impression d’avoir attiré une partie du public fan de metal extrême ?

Bernt: Peut-être que nous nous rapprochons de ce genre de public, mais de notre point de vue, ça n’a pas vraiment changé. Les fans sont là depuis le début, et que ce soit à travers du free-jazz ou quelque chose de plus violent, c’est l’énergie qu’ils cherchent. Ce n’est pas si différent, même si notre son a beaucoup évolué. Et puis, nous repoussons constamment les limites et explorons divers horizons donc …

Oui, en repoussant les limites vous mettez à votre portée un public plus large et plus varié.

Bernt: Voila, c’est exactement ça.

A propos de ce show, le Armageddon Concerto, il y a un ressenti plutôt drone par moment. Est-ce un style musical duquel vous vous sentez proches ?

Bernt: Je crois que la côté drone vient surtout d’Enslaved car je pense que leur musique, bien qu’elle soit jouée rapidement, part à la base d’idées longues et lentes.

Tor : Non mais il y a aussi une des chansons que nous jouons et qui n’apparait pas sur l’album. Cette chanson qu’on a jouée lors de ce festival a en effet un feeling drone. Ce genre de compo est liée au fait que nous écoutons des groupes comme Sunn O))). On joue parfois cette chanson live d’ailleurs. Elle est sur la version vinyle mais pas sur le CD Blackjazz.

Se pourrait-il qu’un évènement comme celui-ci se reproduise ? Avec Enslaved ou un autre artiste d’ailleurs. Car c’est dommage que cela n’ait pas débouché sur un CD live ou un DVD.

Torstein : Ca pourrait se reproduire, mais ce n’est pas au programme. Là on se concentre sur Shining uniquement. On va faire un DVD de Shining, c’est la priorité.

Mais si ça se représente vous seriez partant ?

Torstein : Complètement ! Mais personne ne peut savoir si ça se représentera. On va dire: “Qui vivra verra !” (rires)

Album après album votre musique change constamment. Grindstone était très différent d’In the Kingdom Of The Kitsh You Will Be A Monster et Blackjazz est encore plus différent de Grindstone. Pensez-vous qu’avec ce dernier album vous avez finalement trouvé votre voie ou n’est-ce encore qu’une étape dans une évolution constante ?

Bernt : Je crois que nous sommes très satisfaits du son que nous avons aujourd’hui. Comme on l’a dit, il y a eu beaucoup de nouveaux membres et chacun d’entre eux a apporté une influence plus violente. On ne sait pas comment sera le prochain, peut-être sera-t-il pareil, peut-être que nous irons encore plus loin dans le concept du Blackjazz que nous avons créé pour définir notre musique… On ne sait pas trop.

Tor : Il y a pas mal de chance pour que nous continuions dans ce mélange des genres, en allant plus loin.

Torstein : Enfin on verra bien, on n’a pas encore commencé ! (rires)

Concernant ce dernier album, d’où proviennent ce terme “blackjazz” et la musique qu’il définit ?

Tor : Le nom en lui-même provient de l’album de Venom Black Metal et de l’album Free Jazz d’Ornette Coleman. Nous avons donc pris un peu des deux car ils ont tout deux servi à définir un nouveau genre de musique. Nous les avons donc utilisés pour définir notre propre genre.

Bernt: Mais notre musique n’évoque pas vraiment ces deux albums. C’est le concept que nous avons repris plutôt que la musique : repousser les limites et en définir d’autres. Car beaucoup de gens nous demande de définir notre musique donc au final on s’est dit que c’était plus simple de lui donner un nom qui lui soit propre !


Oui c’est vrai qu’autrement ça aurait été assez difficile.

Bernt: Exactement, on peut associer beaucoup de genres à ce que nous faisons, donc on a fait de notre mieux pour en trouver un qui définisse simplement tout cela.

Et au final Blackjazz fonctionne parfaitement ! Tu as parlé de ces deux albums Black Metal et Free Jazz qui ont engendré chacun un nouveau genre. Quels liens vois-tu entre ces deux genres ?

Bernt: Le metal extrême et le free-jazz dégagent tous les deux une grande quantité d’énergie que l’auditeur reçoit de plein fouet. Et cette énergie, venant de musiques tout à fait différentes, est à peu près la même. Nous faisons pas mal d’improvisations free-jazz avec des instruments électroniques qui du coup finissent par se rapprocher du metal extrême. Au final le lien est assez étroit, il reste confiné sur le plan de l’énergie. On ne peut pas établir de lien entre le free-jazz et une musique comme celle de Scorpions par exemple, ça n’a rien à voir, mais avec le metal extrême oui !

Grâce à l’énergie qu’ils dégagent tous les deux ?

Bernt: Oui c’est l’énergie le point commun.

Torstein : Nous avons pris tout le côté émotionnel profond du metal extrême et nous l’avons interprété façon free jazz en quelque sorte.

Il y a un petit côté vieux jeu vidéo dans la musique de Shining, est-ce voulu ?

Bernt : En fait, certains sons de clavier proviennent directement de la puce de son qui était utilisée sur le Commodore 64 !

Ah ok, ça explique le côté très rétro de certains sons ! (rires)

Bernt: Oui c’est très vieux ! (rires) Donc, si ça sonne comme un jeu vidéo parfois c’est parce que les sons viennent réellement de cette vieille console de jeux vidéos ! Ce genre de son créer un lien avec le côté industriel de notre musique. En plus de cela, le son a été mixé par Jørgen [Munkeby : chanteur, saxophoniste, guitariste du groupe –ndlr] et Sean Beaven. Sean Beaven a beaucoup travaillé avec Nine Inch Nails [ainsi qu’avec Slayer, Gun’s and Roses ou encore Marilyn Manson –ndlr] donc ça contribue également à cette touche électronique dont tu parles.

La voix de Jørgen, en plus d’être devenue complètement allumée, est plus présente sur cet album que sur les précédents. Ce changement a-t-il été facile à effectuer ?

Tor : Je pense que nous nous sommes tous beaucoup entrainés, et Jørgen s’est particulièrement entrainé au chant car dès le départ nous voulions mettre la voix en avant. Tout le monde a travaillé dur et nous avons voulu montrer les progrès effectués par chacun.

Bernt: Cependant, il ne s’agissait pas de mettre plus de chant pour rendre la musique plus commerciale. L’idée est venue d’elle-même.

Oui cela rajoute même d’avantage de puissance et de violence à la musique. Pourriez-vous trouver trois mots pour définir la musique de Shining ?

Bernt: (rires) Ah c’est dur, c’est justement pour ça qu’on a créé le mot “blackjazz” parce qu’on en est incapables ! Enfin disons … énergie, concentration et discipline.

Et pourquoi ces trois-là alors ?

Bernt : Notre musique est très énergique ! Et nous répétons très souvent, pour maitriser parfaitement notre musique jusqu’au moindre détail, pour la reproduire facilement et dégager le maximum d’énergie dans des situations comme les concerts.

Tor : Oui, et pour la concentration, de mon point de vue, nous nous comportons comme un groupe d’improvisation, nous jouons également avec le rythme, et sur scène nous devons toujours rester concentrés sur ce que font les autres pour pouvoir suivre le moindre changement improvisé.

Torstein : Discipline, c’est pour moi ! Je suis Torstein The Punisher ! (rires) La discipline est quelque chose que nous travaillons durant nos nombreuses répétitions. Si en effet nous improvisons beaucoup, il faut que chaque membre reste discipliné et attaché à la trame qu’il doit suivre. Et comme chaque membre maitrise son instrument, ils ont tendance à surjouer, donc un peu de discipline permet de garder ces fans d’impro dans un certain carcan ! (rires)

Tor : C’est surtout ce grand là qui surjoue ! (rires) [parlant justement de Torstein –ndlr]

Torstein : Non, je plaisantais ! (rires)

The Madness And The Damage Done est un bon titre qui résume bien l’effet que votre musique peut avoir sur l’auditeur. Aviez-vous pensé à ce titre comme titre d’album avant de trouver Blackjazz ?

Bernt: Blackjazz est apparu quand nous étions entrain d’enregistrer je crois?

Tor : Oui, assez tôt au final

Bernt : The Madness and the Damage Done c’est un titre qui nous convenait également, qui colle à la musique que nous faisons, mais dès le début il était question d’un titre qui définirait notre musique et nous avons fini par arriver à Blackjazz.

Concernant la playlist de l’album, il y a quelques particularités : Exit Sun et The Madness and The Damage Done sont divisés en deux parties que l’on retrouve parfois plus tard. Pouvez-vous expliquer ce choix concernant la structure de Blackjazz ?

Torstein : Si tu écoutes l’album du début à la fin, que tu prends l’album comme un tout, cette structure aide à appréhender le concept du CD.

Oui c’est agréable de retrouver des mélodies du premier morceau plus tard dans l’album.

Tor : C’est quelque chose qui se fait beaucoup dans le jazz et dans la musique classique.

Oui comme les mouvements…

Tor : Oui c’est ça, et quelques passages sont même tirés de l’album précédent. C’est quelque chose que nous aimons bien faire, c’est marrant d’entendre à nouveau une mélodie qui, en plus, est jouée différemment.

Bernt: C’est aussi un moyen de faire en sorte que l’album ne soit pas qu’un enchainement de morceaux différents. Cela permet de créer des liens entre les chansons.

Oui, une telle structure vous permet de renforcer la cohésion de l’album.

Bernt : C’est ça, c’est lié au concept.

Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous avez choisi de reprendre 21st Century Schizoid Man de King Crimson?

Torstein : C’était l’idée de notre ancien guitariste Even Helte Hermansen. Une radio nous avait demandé de faire une reprise d’une chanson qui signifiait beaucoup pour nous. Beaucoup d’artistes reprenaient Hallelujah à cette époque. Pendant un moment pour rire on s’était dit qu’on ferait aussi Hallelujah, ce que bien sûr nous n’avons jamais vraiment fait ! (rires) Puis Even proposa de faire cette chanson de King Crimson et on s’est dit qu’en effet nous pourrions faire une bonne reprise de 21st Century Schizoid Man donc nous le fîmes. Après la sortie d’In The Kingdom Of the Kitsh You Will Be A Monster, on nous a beaucoup comparés à King Crimson, notamment par rapport au saxophone et au côté progressif de notre musique. Nous n’avions jamais écouté King Crimson auparavant à vrai dire, et comme on nous comparait à ce groupe nous nous sommes mis à l’écouter et au final à l’apprécier ! Comme en plus le public aimait également ce groupe et notre reprise, on a fini par la jouer également lors des concerts.

Ca s’est passé à l’envers en fait : en vous comparant à King Crimson, les critiques vous l’ont fait découvrir. Au final, avec cette reprise, ils ont dû penser que vous étiez bel et bien influencés dès le début par ce groupe !

Torstein : (rires) Oui, je n’avais pas pensé à ça, mais ça a dû confirmer cette idée là !

Pour finir, pourriez-vous m’en dire plus sur le sens des mystérieuses paroles de Fisheye ?

Torstein : On n’en a aucune idée ! C’est Jørgen qui écrit toutes les paroles et parfois il en fait des étranges comme celles-ci ! (rires)

Et il ne vous l’explique pas ? Il garde ça pour lui ?

Tor : [appelant Jørgen assis dans un coin en silence à moitié endormi] Tu ne veux pas expliquer les paroles de Fisheye ?

Jørgen : C’est une suite de numéro qui suit une logique… C’est assez long à expliquer et là je préfère ne pas trop parler, je garde ma voix pour tout à l’heure, excuse-moi.

On l’excusera sans problème au vu de la prestation qu’il nous offrira quelques instants plus tard, et le mystère de Fisheye restera entier !


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