Urfaust – Teufelsgeist

Le 24 janvier 2021 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


VRDRBR : batterie / IX : guitare, chant

Style:

Drone / Dark Ambient / Black Metal

Date de sortie:

27 novembre 2020

Label:

Ván Records

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10

« Dieu fait ce qu’il peut de ses mains, mais le diable fait beaucoup mieux avec sa queue. » Jacques Prévert

Je suis sûr que vous avez tous connu ce délabrement personnel qui apparaît lorsque vous écoutez un CD sorti l’année précédente et que vous vous dites que vous êtes nul, que vous êtes passé à côté d’un album incroyable et qu’il transperce tout votre top 3 ou top 10 comme un bout de bois lors d’une tornade force 5. Et pourtant, vous le savez puisque beaucoup vous en ont parlé! Je compte énormément sur le savoir de mes sbires, en particulier de mon adorable et adorée Cassie di Carmilla qui peut se targuer de garnir avec boulimie ma discothèque personnelle, en même temps qu’elle me vide mon compte en banque par ailleurs (mais que voulez-vous… C’est une femme évidemment. Je blague). Mais qui plus est lorsque l’on fait une chronique et qu’on a du retard comme moi, on tombe sur des perles de l’année précédente qu’on avait ostensiblement ou pas, ignoré. Après, il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas des machines, que nos cerveaux n’ont pas de pouvoir de duplication ni de téléportation numérique et que malgré toute notre curiosité, notre bonne volonté et notre sens du devoir (haha), oui! Il arrive que nous passions à côté des sorties qui valent largement la peine d’être valorisées. Vous ne pouvez même pas imaginer le nombre de sorties pour lesquelles je suis totalement passé à côté… Il me reste quelques chroniques de 2020 à faire à l’heure où j’écris, et j’ai décidé, comme j’ai de l’avance sur les sorties 2021 (ce qui est totalement paradoxal!), de me pencher sur le cas étrange du groupe Urfaust. Et « étrange » est le mot…

Urfaust est un duo de musicien qui nous vient des Pays-Bas, d’Asten pour être plus précis. C’est à côté d’Eindhoven pour les connaisseurs. Ce duo de musicien est resté inchangé de sa création en 2003 jusqu’à ce jour, signe d’une complémentarité qui va au-delà du simple fait de composer. Il n’en demeure pas moins qu’Urfaust a donné son nom dans un grand nombre de productions, à savoir six albums en comptant le dernier, trois EPs, mais surtout dix splits ! Ajoutons à cela un bon nombre de singles, trois albums live et une compilation sortie en… 2012 qui s’appelle Ritual Music for the True Clochard. C’est même une sorte de marque de fabrique du duo hollandais, qui semble s’amuser à allier noirceur, dépression et souffrance avec une bonne dose de dérision de temps en temps. En témoigne cette référence répétée au « diable-fantôme », un split avec King Dude, et surtout cette curieuse décision de vendre du gin estampillé Urfaust avec ce fameux dernier album appelé Teufelsgeist (le fameux « diable-fantôme »). Un groupe insondable, probablement interrogateur et diviseur dans la communauté metal mais qui, derrière ce vernis un peu moqueur (et probablement ironique plus qu’humoristique), cache un gout très prononcé pour la méditation, l’ivresse, l’onirisme et l’occultisme. Peut-être même que l’ironie se situe dans une forme de nihilisme pur, au travers duquel les rites et incantations transpirent. Je suis très curieux, en tout cas, de découvrir un tel groupe. J’étais, à ce moment-là, loin de penser que j’allais me prendre un coup de pied avec une puissance semblable au kick de Pascal Gentil au championnat du monde de Tae-Kwen-Do.

D’autant plus que le contact avec la pochette ne fut pas des plus inoubliables. Elle est vraiment simple. Alors autant dans ma précédente chronique de Conviction, ou d’autres, la simplicité était arrhes de bon aloi et la musique minimaliste en est un parfait exemple. Mais ici, la pochette est un peu trop simpliste à mon gout. Elle n’est pas non plus moche hein! Mais après avoir écouté la musique, je me suis fait la réflexion qu’il y aurait eu largement moyen de faire plus sophistiqué. Ce ton grisâtre déjà ne me plait pas du tout. Le motif central n’est pas désagréable à regarder mais je le trouve un peu trop facile, surtout dans sa mise en image, on dirait une sorte de motif à la Paint. Ce que je ne comprends pas en fin de compte, c’est que lorsque l’on écoute l’album avec le clip sur YouTube, ou lorsque l’on ouvre les images partagées via le dossier de presse, on a vraiment plus de matière que l’album en lui-même ! Il y a des symboles, une représentation du diable, et dans le dossier de presse, on a ce côté décalé dont je parlais plus haut avec un diable qui boit un verre de gin et qui tient une sorte de bonbonne de gaz avec sa queue. Alors, pourquoi se donner autant de mal avec un dossier de presse ou une vidéo YouTube plutôt que sur le support CD ?… Là, je n’ai pas compris. Un artwork décevant donc, au vu des autres contenus beaucoup plus intéressants.

Par contre, la première écoute m’a totalement subjugué. Je suis resté littéralement le cul sur ma chaise d’ébahissement, et lorsque l’occasion de réécouter l’album s’est présentée, il faut contextualiser qu’on était en plein jour de neige, que j’allais faire des courses à pied et que cette météo désastreuse mais en même temps poétique était d’un rendu incroyable avec la musique d’ Urfaust. Résultat : j’ai eu ce qui s’apparente chez moi à un début d’auto hypnose. Et quand il s’agit de musique c’est un sacré exploit. Bon alors, vous allez me dire : qu’est ce qui vaut de telles louanges? Eh bien au style tout d’abord. Présenté comme un groupe faisant dans le black metal atmosphérique et dans des incorporations ambient, on a présentement un album totalement ou presque dark ambient. Mais j’ai surtout envie de dire, peu importe le style propre de ce Teufelsgeist ! La vérité est qu’il est surtout hyper occulte. Avec très peu d’instrumentations metal, à peine une batterie mais sur des rythmiques non pas en mid tempo mais plus basiques, de temps en temps une guitare qui intervient dans un but schismatique sur une partition très drone metal, et un chant… exceptionnel. Mais j’y reviendrai. En fait, cet album porte impeccablement son nom de « fantôme du diable » tellement on a un côté occulte avec des références démoniaques – le nom du groupe Urfaust est tiré d’ailleurs de Goethe – et surtout une véritable ambiance paranormale, digne des tréfonds des catacombes ou des ambiances sectaires. En gros, moi qui adore la dark ambient et les groupes qui parlent d’occultisme, je me suis pris une énorme claque de forains dans la tronche. La première écoute m’a totalement conquis. Et dire que le groupe cumule pas loin de 40 000 j’aime sur leur page Facebook et qu’ils ont une page Wikipédia, donc que grossièrement dit, ils sont connus… Et que je ne les avais jamais écoutés avant. Les mecs, j’ai honte…

La production de l’album est juste un bijou du genre. Ce n’est pas facile de produire un album avec autant d’instruments qui dénotent entre eux. Mais le contrat est largement rempli, il y a énormément d’ambiances noires qui me font penser aux productions du roi de la dark ambient Lustmord, des sonorités et des samples qui sont du même terroir, c’est vous dire à quel point je les adore. C’est toutefois une production dont il convient de préciser qu’elle n’est pas à la portée de tout le monde, au même titre de toute façon que la dark ambient en général et l’occulte. Ce n’est pas dans la doxa habituelle quand on parle ici de production « propre », disons simplement qu’elle sonne plus comme une sorte de bande-annonce, ou comme si vous étiez en immersion dans les catacombes ou dans les souterrains. C’est à dire un spectre sonore bourré d’effets de réverbération, des samples aux claviers qui sont dignes des ambiances sectaires ou noires, et un chant lointain, au point de ne pas parvenir à savoir d’où vient la source. C’est donc un son qui ne siéra pas à tout le monde, mais qui pour ma part m’a totalement mis par terre de béatitude et d’éblouissement. J’adore la production, l’une des meilleures qui m’aient été donné d’entendre en dark ambient depuis longtemps.

Et j’ai dévoré ce CD à un point inimaginable. Il faut recontextualiser aussi une chose un peu occulte justement : je sortais d’un cauchemar très dérangeant où une femme qui se changeait en poisson flippant (genre piranha) et me parlait dans une langue inconnue que j’ai attribué avec l’aide de ma femme à une langue démoniaque. Donc le destin a voulu que les différentes écoutes de faites sur ce Teufelsgeist soit lié à un vécu un peu obscur. Du coup, j’ai vraiment plongé dans cet album avec un mélange de frénésie et de soumission spirituelle. Les écoutes sont très agréables du moment où, encore une fois, vous aimiez la dark ambient et les musiques estampillées metal avec néanmoins très peu d’incorporations metal. Parce qu’il faut bien l’avouer : le metal est très peu représenté sur cet album. A part une batterie qui répète plus ou moins la même rythmique basique un peu comme sur le krautrock de Vaisseau (que j’adore) et de temps en temps des riffs de guitare en mode drone metal, il n’y a pas vraiment de musique metal dans ce Teufelsgeist. Et c’est ce qui me plaît le plus. C’est d’ailleurs une constante chez moi : dès lors qu’un groupe de metal fait un album genre drone / dark ambient, j’adore! Bon en tout cas, cet album est une pure merveille et il est tout à fait envisageable de l’écouter plusieurs fois sans se lasser.

Les compositions sont fabuleuses, elles font la part belle à un vrai occultisme, un vrai hommage au diable. Rarement ce dernier n’aura d’ailleurs eu de cérémonie plus grandiose que ce sixième album d’Urfaust. Il convient de préciser qu’elles sont d’une longueur globale raisonnable, ce qui est surprenant pour un album dark ambient. Seuls les deux premiers morceaux sont longs, entre sept et dix minutes, mais rien ne les arrête. Pour le reste, je reviens sur une démarche récemment rencontrée dans des chroniques de drone ambient ou de doom metal old school : le minimalisme. En effet, il y a quasiment chaque fois un riff principal, aux claviers, qui tourne en boucle sur le morceau et qui se voit compléter tantôt par de nouveaux samples, tantôt par la guitare, tantôt enfin par le chant. Cette démarche minimaliste a toute sa puissance ici, elle peut rebuter mais elle a son importance car si le riff est suffisamment puissant et parlant, il est tellement fluide que vous pouvez l’accompagner avec n’importe quoi, il sera quand-même envoûtant. Et c’est le point fort des cinq compositions d’Urfaust. A noter par ailleurs que trois contiennent du chant et que deux sont instrumentaux. Pardonnez-moi mais j’ai renoncé à vous préciser lesquels, vous comprendrez en voyant le nom des pistes plus bas.

Par contre, le méga gros énorme point fort de l’album et je suis certain que vous me direz la même chose, c’est le chant. Le chant est extraordinaire! La première chose qui m’est venue lorsque j’ai écouté pour la première fois l’album, c’est de penser à Klaus Nomi. Le chant est moins lyrique et moins miraculeux que ce bon vieux Klaus (RIP), mais bordel, qu’est-ce qu’il est bon! Cette voix lyrique et torturée, qui sonne comme une incantation gigantesque, limite en élévation, c’est impressionnant. D’une part parce que parvenir à mélanger des ambiances aussi noires avec un chant aussi beau relève de la prouesse composale. Et d’autre part, parce qu’il est exceptionnellement bien exécuté. Sans rentrer dans des envolées pompeuses, sans non plus rester trop sur la même tessiture, un équilibre parfait (c’est rare que je le dise) pour donner un résultat aussi pur qu’il a cette touche bestial et authentique. En fait, le groupe dans une interview explique pourquoi ce chant ne laisse personne indifférent : il fonctionne comme un instrument à part entière. De fait, j’ai constaté que parfois il n’y avait probablement pas de textes. Le seul but de la voix étant d’apporter une touche mélodique en plus, sans se fragiliser avec des sonorités syllabiques, uniquement des onomatopées ou des vocalises simples. C’est sûrement ce qui m’a non seulement mis la puce à l’oreille moi qui adore discerner les mots dans le chant, mais aussi et surtout m’a tellement plu. Mon seul regret est qu’il n’est pas présent partout. La voix m’a tout simplement épaté, déjà que la musique m’avait scotché, alors quand le chant apparaît au bout de quelques minutes sur le premier morceau, j’ai été… transporté. C’est le terme juste, transporté. L’un des meilleurs chants dans le genre que j’ai pu entendre dans ma vie.

Et pour terminer, je voudrais dire un mot sur l’univers de ce sixième fait d’armes de la part d’ Urfaust. J’ai lu que le groupe jouait la carte maitresse de l’occulte par le mystère du silence. C’est à dire qu’au final, on ne sait pas grand-chose. Le groupe semble jouer avec nos nerfs en utilisant des noms de morceaux assommants et hyper longs (en témoigne cette sortie en 2004 appelée « I anmarsj gjennom grangrunn und Skogens hatefulle skapning auf Gathered Under the Banner of Strength and Anger: A Homage to Ildjarn« ), souvent en allemands ou en hollandais, et j’ai aussi lu qu’un doute subsistait quant à l’existence de textes sur les pistes. Bon, il serait bon de préciser qu’il y a des textes dans pas mal de productions du groupe et qu’il est aisé de discerner des mots sur les morceaux de Teufelsgeist. Mais pas partout en effet, et cette technique serait dû à une technique de chant que j’aime beaucoup : Shōmyō. Du nom du chant liturgique des bouddhistes. Je pense que, quand on cultive avec soin cette part méandriforme de mystère, il faut encore plus s’intéresser au groupe. Je ne désespère pas un jour de percer bien de leurs mystères. Sachez toutefois que ce sixième album a pour originalité de décrire le cheminement de l’ivresse! Oui oui, vous avez bien lu le cheminement de l’ivresse ou plutôt de l’intoxication par l’ivresse comme en témoigne ce descriptif sur Bandcamp : « URFAUST has orchestrated an album that represents the stages of intoxication. It starts with an almost euphoric state but slowly devolves in a downward spiralling delirium« . D’où, vous l’aurez compris, la démarche commerciale de vendre du gin avec l’album.

Pour finir, je dirais que cette expérience musicale a été une véritable révélation pour moi. Urfaust est un groupe que je ne connaissais pas, dont j’ai forcément raté la sortie du dernier album Teufelsgeist, et que je regrette amèrement. On est officiellement en 2021, j’avais bouclé machinalement mon top 10 de l’année précédente en passant complètement à côté de cette magnifique œuvre ambiante. Au-delà de la honte que je ressens ce soir, c’est aussi une forme de soulagement car le mal est réparé et j’espère vite pouvoir me procurer ce CD. En tout cas, dans le genre dark / drone ambientTeufelsgeist est sans contestation possible un des meilleurs CDs que j’ai entendu de toute ma vie. Les ambiances sont incroyables, dignes des films occultes les plus sombres. Le retrait volontaire des instruments metal, sans pour autant les écarter, est aussi un gage de réussite. Et le chant… Punaise, qu’il est jouissif, plein d’émotions, sorti tout droit des entrailles d’un mec véritablement au service de son occultisme, de ses incantations et de son ivresse. En fait, c’est une vraie part de moi qui a été réveillé comme une bête endormie depuis des lustres avec cet album.
Une des meilleures sorties de 2020 pour moi, un album riche et d’une immense magnificence, un chef d’œuvre absolu.

Tracklist :

1 Offerschaal der Astrologische Mengvormen (10:35)
2 Bloedsacrament voor de Geestenzieners (07:59)
3 Van Alcoholische Verbittering naar Religieuze Cult (04:38)
4 De Filosofie van een Gedesillusioneerde (05:48)
5 Het Godverlaten Leprosarium (04:31)

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