The Lovecraft Sextet – Miserere

Le 26 novembre 2022 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • Jason Köhnen - Composition, guitares, basse, orgue, claviers.
  • Guests :
  • Colin Webster - Saxophone
  • Lilian Tong - Chant soprano
  • Dimitris Gkaltsidis - Chant saturé
  • Eugene Bodenstaff - Violoncelle

Style:

Drone Ambient / Metal / Jazz

Date de sortie:

07 octobre 2022

Label:

Denovali Records / Debemur Morti Productions

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

« Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile, Une tête coupée en fait renaître mille. » Corneille

Vous savez ce que m’inspire cette nouvelle chronique? Je vous le mets dans le mille. Le mythe de l’Hydre de Lerne. Au-delà de l’aspect matériel de cette créature tuée par Héraclès dans les Douze Travaux, et dont une tête coupée en valait deux de repoussées, j’y vois une sorte de métaphore artistique. Parce qu’avoir plusieurs têtes sous-entend avoir plusieurs aptitudes différentes, et peut-être même plusieurs personnalités artistiques différentes. Je vous dis cela parce que ce soir, je me retrouve aux prises avec un nouveau one-man band, d’un musicien qu’en plus, j’ai eu le grand plaisir de faire en chronique récemment sous son nom d’artiste reconnu, et je me rends compte que ce mec fait partie de ces musiciens qui sont capables de faire de l’or avec n’importe quel outil. Que ce soit du Metal extrême ou de la musique plus conventionnelle, c’est toujours un truc fantastique. J’exagère un peu, je suis dans l’emphase comme toujours, mais vous savez probablement de quel genre de types je veux parler. Vous en connaissez probablement vous-mêmes, des musiciens qui pondent mille et un projets et qui parviennent malgré tout, malgré l’abondance, à sortir une musique toujours de qualité. J’avais en exemple le musicien hollandais Mories (Maurice de Jong), dont j’avais fait en chronique Vetus Sepulcrum et qui faisait partie de sa bonne vingtaine de projets musicaux différents. On pourrait également citer le célèbre Déhà qui répond toujours à la question « combien de groupes as-tu? » par « oui » tant les projets inondent son quotidien et son génie. Il y a quand-même des gens qui sont capables de vraiment cumuler un nombre de groupes ou de projets solo comme s’ils avaient une centaine de têtes, et a fortiori une centaine de cerveaux différents pour diriger tout ce bazar. Moi, je suis toujours en admiration devant ces musiciens. Etant à peine capable de cumuler deux projets musicaux, n’étant pour ainsi dire pas capable de composer des instrumentations, mais plus de poser ma plume sur des trames déjà faites, je me sens envieux, voire même jaloux de ces musiciens. Alors, quand j’ai découvert qui était derrière The Lovecraft Sextet, et donc cet album nommé Miserere, je me dis « bon sang! Encore??? » Vous allez comprendre pourquoi tout de suite, surtout si vous me suivez.

Car sous vos oreilles ébahies, voici le retour en chronique de Bong-Ra! Mais si! Souvenez-vous. J’ai fait en chronique le dernier album de son projet éponyme il y a peu. Un truc complètement hybride sous l’étendard Stoner. Jason Köhnen de son vrai nom cumule en effet énormément de projets et ce The Lovecraft Sextet est l’un d’entre eux. Toujours tout seul aux commandes mais cette fois un peu accompagné quand-même par d’autres musiciens ce qui est une bonne chose, le multi-instrumentaliste (c’est le cas de le dire!) hollandais part donc sur une nouvelle expérimentation musicale. Miserere est donc la troisième sortie officielle de The Lovecraft Sextet, qui semble avoir vu le jour vers 2021, date de la première sortie. Depuis, le gonze va vite. Trois sorties avec cette dernière depuis fin 2021, l’album d’avant étant sorti en mars de cette année, cela commence à faire pas mal! Et si j’en crois les visuels des différentes sorties, Jason Köhnen se lâche complètement en termes conceptuels. Miserere s’offre donc à nous ce soir, et je suis vraiment très content d’avoir encore le plaisir et honneur de chroniquer un album de ce génie de la musique, de ce roi de l’expérimentation. Et croyez-moi les ami(e)s, on ne va pas être déçu. Je n’ai pas grand-chose d’autres à dire parce qu’il n’y a pas eu de biographie de fournie ni d’explications particulières, donc allons-y tout de suite. Une chose importante à savoir toutefois pour ceux qui l’ignorerait : Miserere est à la base une composition polyphonique qui date du XVIIe siècle et qui fut composée par Gregorio Allegri. Wikipedia nous dit ceci : « Destinée à l’usage exclusif de la chapelle Sixtine pour l’office des Ténèbres de la Semaine sainte, cette œuvre est conçue pour neuf voix a cappella, réparties en deux chœurs de 5 et 4 voix, chantant en « versets alternés » avant de se rejoindre à la fin. Au cours des siècles, le Miserere d’Allegri a connu des modifications dues à des ornementations vocales et à diverses interprétations. Son manuscrit original n’a jamais été retrouvé. » Voilà donc sur quoi The Lovecraft Sextet va baser son album.

Et comme nous baignons dans une atmosphère mystico-religieuse et que manifestement, The Lovecraft Sextet ne joue pas sur les mêmes plates-bandes que le catholicisme à son époque, nous voici en présence d’un artwork qui reprend un peu les codes anciens. Paré d’un effet tableau bluffant, je suppose qu’il s’agit d’une création graphique puisque je n’ai ni signature ni connaissance d’un tel ouvrage. En tout cas, le résultat est époustouflant. Cette femme qui regarde les cieux d’un oeil blanc immaculé, dans un rictus de souffrance perceptible et dans une posture de lassitude, tout cela me fait penser à l’appel à la miséricorde qui est censée être mise en musique par le fameux Miserere d’Allegri. On voit bien que The Lovecraft Sextet a voulu aller jusqu’au bout de l’hommage en reproduisant son artwork comme s’il s’agissait d’une autre version de la même époque du Miserere. Et alors que la musique de base était très porteuse d’espoir et de miséricorde, on dirait presque que le groupe veut produire l’effet inverse. Cela reste une hypothèse, mais je crois qu’en fait, le groupe a voulu faire sa propre interprétation ou une ré-interprétation inversée. En tout cas, j’aime beaucoup cet artwork. On devine que ce dernier correspond très bien à un format vinyle mais aussi, et je l’ai découvert sur le Bandcamp, à un format CD. Mais l’ouvrage est du plus bel effet, très noir et un brin apeurant. J’adore!

Alors, qu’en est-il de cette musique? Connaissant bien Jason Köhnen désormais, je peux d’ores et déjà envisager que le mélange va être étonnant! Je ne croyais pas si bien dire. Se définissant comme du « Dark Jazz », le projet musical est en fait une sorte de gros Drone ambient bien énorme, avec des incorporations instrumentales qui sortent du lot. L’ensemble musical du Drone Metal est bien présent avec donc des guitares extrêmement distendues et des accords balancés sur plusieurs longues secondes d’agonie créant ainsi une sorte de linéarité d’accords caractéristiques du genre. L’effet sonore étant le plus important dans ce registre, la démarche ambiante ne fait aucun doute. Après, je trouve l’utilisation du terme « Dark Jazz » pas si incongru que cela, même si je ne suis pas féru des nouvelles appellations de genre, pour des raisons assez idiotes je le reconnais. Mais on a effectivement les instruments qui vont avec, soit un violoncelle, un saxophone, un chant soprano, et bien entendu quelques claviers et même un orgue. Alors, effectivement, cela ne fait pas forcément très Jazz sur le papier, hormis le saxophone et les percussions mais l’habit ne fait pas le moine. Mais ce que je retrouve de significatif d’une appelation Jazz, c’est le côté improvisation de la musique. Cela est évidemment un peu fake quand on enregistre un album, mais on sent que la musique a été plus ou moins inspirée par l’improvisation. Avec des montées en puissance, des passages un peu dissonants, des instruments plus estampillés Jazz ou classiques qui se chevauchent dans une sorte de mélange bizarre mais dont résonne de temps en temps une lueur musicale magnifique, et le fait de coupler cette démarche potentielle avec un côté drone ambient plutôt aérien et linéaire, cela relève d’un bel exploit. Encore une fois, The Lovecraft Sextet est un nouveau projet d’expérimentation et encore une fois, la musique fonctionne à merveille. Il faut bien sûr aimer de base ce style si singulier et déroutant qu’est le drone ambient ou Drone Metal, mais quand vous parvenez à saisir la subtilité de cette musique hypnotisante et toujours empreinte de mystère, vous découvrez un voyage incroyable. Une expérience unique, et ce Miserere revisité à la sauce Jason Köhnen est saisissant d’efficacité. J’ai écouté le vrai, histoire d’avoir quelques manettes supplémentaires. Autant vous dire que cela ne ressemble pas franchement à l’original, j’irai même jusqu’à dire que ma théorie de revisite totale est plutôt fondée, mais si on se contente d’écouter cet album comme s’il était entièrement composé, c’est du lourd. Vraiment! L’album n’a rien à envier à ses grands frères drone metal, et les atmosphères sont malsaines au possible. En première écoute, c’est déjà du tout cuit pour moi.

Pour la production, comme on reste sur de l’expérimental et à fortiori sur ce qui ressemble à de l’autoproduction, je n’ai pas été étonné du caractère un peu brouillon de cette dernière. Rien de méchant! Mais comme de base il est compliqué d’avoir une production digne de ce nom dans le registre Drone Ambient, avec tous les arrangements hors mixage qu’il faut et qu’on doit épurer en post-studio, ce n’est clairement pas un exercice aisé. Néanmoins, je trouve qu’à part quelques enchevêtrements sonores notamment sur les passages que je trouve plus improvisés que les autres, l’ensemble est plutôt agréable. Il faut prendre cette production comme l’album est, soit avec pas mal d’intuitions et d’errances. De fait, vous avez des passages où le son grésille pas mal dans le casque, d’autres où il faut tendre l’oreille pour ressentir la pleine harmonie, mais après cela reste difficile à décrire parce que je me suis toujours demandé humblement comment l’on pourrait mettre des mots sur l’idée d’une production précise dans le registre généralement Ambient. C’est compliqué, et chaque fois je bute dessus. Donc sur mes propres ressentis, je dirais que l’ensemble est vraiment pas mal. On entend bien les guitares par exemple, les instruments « jazzy » aussi, mais tout cela mériterait selon moi d’être épuré conséquemment pour avoir une harmonie adéquate. Je n’ai pas grand-chose à dire de plus.

Pour la musique en elle-même, je pars sur des hypothèses mais je dirais bien que la démarche musicale initiale était de tourner Miserere dans un côté plus démoniaque. Le mot est lâché! Pour moi, les ambiances de cet album de The Lovecraft Sextet font ressortir un aspect malsain et goétique, probablement un sens dissimulé que personne ne pourrait soupçonner en restant stricto facto sur la musique de base. C’est en cela que je trouve l’idée de cet album absolument incroyable. C’est un peu comme si vous preniez le point de départ à l’envers : vous prenez la musique d’Allegri qui est superbe, très classique, carrée et harmonieuse au possible, avec un objectif clairement écclésiastique et un brin bonimenteur (hop! Comme cela, c’est fait! En fait, je dis cela parce que Miserere a été commandée par le pape Urbain VIII pour le bien de sa paroisse), et vous prenez la version contemporaine et détournée de The Lovecraft Sextet, qui se veut beaucoup plus chaotique, hasardeuse dans l’improvisation, avec une production un peu plus brouillonne si l’on veut, mais qui donne malgré tout une musique inspirante et envoutante, c’est exactement le contraire de la version originale. Deux parfaites oppositions. Jamais je n’aurais cru avoir un jour le sentiment d’avoir une version musicale du cygne blanc contre le cygne noir. Je suis ressorti de cette analyse chamboulé parce que c’est réellement la première fois que je me retrouve face à un parfait contraire plein de noirceur et de chaos d’une oeuvre lumineuse. C’est bouleversant. D’ailleurs, on a beau se formaliser sur des détails techniques, au diable les considérations! Ce Miserere là est un pur chef d’œuvre, un ouvrage de talent. The Lovecraft Sextet a de quoi être fier, vraiment. Quelle monstruosité!

Et oui! Il y a bien du chant. Là encore, c’est plutôt rare dans ce domaine mais ici, ce n’est pas tant du chant. On dirait plus une sorte de déclamation, ou un chant rituel sur une technique vocale en high scream dont je dois admettre que le résultat est bluffant. On revient à l’idée du contraire parfait, puisque le chant est initialement clair dans la version ancienne. Or, ici, avec une petite sauvegarde en chant lyrique soprano, il y a majoritairement du chant saturé et donc, par essence même, le contraire de l’initiale version. On en revient donc au même! Sur la technique vocale, je trouve l’idée de faire des déclamations originales dans le sens où cela apporte une profondeur incroyable au chant et une accentuation de la sphère mystique. Un peu comme le fait Urfaust par exemple, même si c’est en voix claire. Voilà donc pour le paragraphe sur le chant.

Pour terminer ici ma nouvelle diatribe, The Lovecraft Sextet, énième projet de Jason Köhnen, multi-instrumentaliste de talent en provenance des Pays-Bas, nous vient en cette soirée avec un album nommé Miserere. Oui, vous l’avez bien lu, exactement comme la Miserere de Gregorio Allegri jadis. Il s’agit en vérité d’une version revisitée à la sauce The Lovecraft Sextet, soit sur un registre sur le papier totalement improbable d’un Drone Ambient sur fond d’un mélange de Drone Metal et de Jazz sur une coloration bien noire et démoniaque. En vérité, si l’on devait comprendre en profondeur pourquoi l’aboutissement d’un tel album, il faut se souvenir à quel point la Miserere initiale est objectivement une belle pièce musicale. Lumineuse et obédiente. Pour finalement aboutir à ce que le génie d’un seul homme a permis d’accoucher en grande pompe, soit sa face contraire, sombre et destructurée. La beauté face à sa laideur, pour au final aboutir à une nouvelle beauté musicale. Voilà sur quoi cet album repose, et les fondations sont tellement incroyables, et le résultat dépassant les espérances les plus profondes, que Miserere version The Lovecraft Sextet est un album exceptionnel. A ne pas manquer.

Tracklist :

1. Miserere [Opus I]-Occulta 05:03
2. Miserere [Opus II]-Domine 08:34
3. Miserere [Opus III]-Sanctum 06:42
4. Miserere [Opus IV]-Sacrificium 07:20
5. Miserere [Opus V]-Humiliatum 07:04
6. Miserere [Opus VI]-Libera 05:18

Bandcamp

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