Line-up sur cet Album
Nith : tous les instruments, chant
Style:
Black MetalDate de sortie:
04 avril 2025Label:
Black Shadow Legions (réédition)Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
“Le désir refoulé se manifeste dans la maladie.” Georg Groddeck
Nombre de fois, j’ai découvert à quel point la musique servait de manifeste. Avant d’en arriver à cette conclusion, ce qui dans une introduction est plutôt cocasse, avoue-le, j’ai d’abord voulu chercher ce qu’était exactement un manifeste. Deux définitions différentes ont attiré mon attention sur le site du Larousse : » Écrit public par lequel un chef d’État, un gouvernement, un parti, etc., rend compte de son mandat ou expose son programme, son point de vue sur un problème politique. » Et « Exposé théorique par lequel des écrivains, des artistes lancent un nouveau mouvement. » L’idée donc d’un manifeste est de proposer un changement. Un changement d’orientation sociétal ou de direction artistique. Et quand on sait que (Spoil Alert !) l’on va parler de black metal dans cette chronique, je ne trouve pas cela idiot du tout. Ce type de musique a toujours eu, effectivement, une dimension très intimiste et personnelle, avec des albums qui ont clairement servi d’exutoire à leur géniteur ou génitrice (je pense à l’album magnifique de Vertige, « Aux solitaires !« ), voire carrément de thérapie pour la plupart. Mais certains projets ont également une dimension politique marquée, quand on pense notamment à Sordide ou éventuellement à Malhkebre qui refait surface cette année d’ailleurs, et qui ont fait de la musique un véritable manifeste politique ou spirituel. Sans parler de ces tréfonds de groupe extrême-droite dont nos mères nous défendraient de nommer ici (si l’on part du principe que Metalfreak est notre mère à tous, on ferait des économies en plus). Et puis, finalement, il y a des groupes qui parviennent à mélanger subtilement les deux. A mettre du personnel dans une cause qui semble commune. A créer une sorte de chainon manquant et de rendre le manifeste plus personnel et intimiste, lui qui a pour but de dévoiler des projets futurs, sombres ou pas. Comme si l’on se faisait à soi-même des projets ambitieux non pas pour changer la face du monde, mais pour changer sa propre figure. Récemment, j’ai étudié pour un de mes projets la notion mystérieuse de « saudade », qui n’a aucun équivalent en français connu (que j’ai nommé la « désirance ») mais qui en portugais, signifie « sentiment de délicieuse nostalgie, désir d’ailleurs » toujours selon le Larousse. A juxtaposer au concept non-moins intéressant du mot « ilgesys » qui, en lituanien, signifie » sentiment profond et mélancolique de nostalgie ou de désir, souvent teinté de tristesse, pour quelque chose ou quelqu’un d’absent, de perdu ou inaccessible. Cela peut être le manque d’un lieu, d’un être cher, d’un moment passé, ou même d’un idéal jamais atteint. Il porte une intensité émotionnelle particulière, semblable au saudade portugais ou au sehnsucht allemand. » Tout cela, je l’ai trouvé dans une démo sortie du chapeau comme on dit, auquel je ne m’attendais pas mais qui m’a fait l’effet d’une bombe. Cette démo, c’est « Manifest I » du groupe Mesfetor !
D’autant que de Mesfetor, outre le fait que j’ai mis un temps anormalement long pour bien prononcer le nom à l’oral autour de moi, je n’en connaissais rien du tout. Et pourtant ! Il aurait dû m’attirer ce projet puisqu’il vient de Rouen en Normandie, terre des vikings et là où accessoirement, ma compagne habite. Terre qui a fourni d’ailleurs un certain nombre de bons groupes, et qui m’apparait comme de plus en plus prometteuse. Un certain Nith compose tout seul ce groupe, on sait grâce à Metal Archives qu’il a trente-quatre ans et qu’avant de proposer Mesfetor, il était dans un projet duo nommé Goatspell, actuellement en pause. En fait, cette démo était sortie initialement en autoproduction en 2023, date de sa création, et si aujourd’hui le destin m’a permis d’écouter ce projet, c’est grâce au label Black Shadow Legions que je salue amicalement et qui, par sa confiance inébranlable, a réédité « Manifest I » pour avril 2025 en format CD, une version cassette ayant vu le jour en 2024. Connaissant les gouts du bonhomme, s’il la réédite, c’est forcément qu’il est bon ! Nous verrons cela.
Résolu à faire dans une sorte de sobriété, Mesfetor reprend des codes simples mais toujours aussi efficaces pour illustrer une pochette de ce genre. A savoir du noir en fond, du blanc pour les contours et les motifs du milieu, point. Nous avons des contours qui font penser à des vieilles reliures de livres, le sieur Nith qui pose en bon black metalleux qui se respecte, avec une épée plantée dans un crâne sur un autel avec des ossements, le tout avec un logo bien maléfique et un nom d’album un peu illisible avec ces majuscules gothiques. Tous les ingrédients pour savoir, en fins connaisseurs que nous sommes, ami(e)s de l’undeground, que nous aurons untel type de metal dans cette démo. L’intérieur du CD montre aussi une figure démoniaque brandissant une épée et une lance avec de curieux bracelets à clous (pas très religieux tout cela !). Je déplore un peu le caractère illisible de l’utilisation de ces majuscules gothiques, et le comble est que l’on arrive à lire le nom du groupe – ce qui, dans certains logos estampillés metal extrême n’est pas toujours une mince affaire – mais plus difficilement le nom de l’album et l’intérieur du CD. Ce serait quand-même bien de montrer un peu d’intelligence et de se dire que si l’on veut parvenir à faire en sorte que l’auditeur déchiffre l’univers de Mesfetor, il puisse le lire, tout simplement. Mais bon, passons sur ce détail puisque de toute façon, en allant sur une simplicité et des codes caractéristiques de ce type de metal, Mesfetor a malgré tout rempli son contrat et l’on sait déjà à quoi on aura affaire. L’analyse s’arrête là pour cette pochette.
En revanche, pour la musique, j’avoue que je ne m’attendais pas du tout à cela ! Il faut se remémorer le contexte de découverte de ce projet : on parle d’une réédition de sortie de 2023 d’un one-man band passé à la trappe du fait de l’absence de communication sur les réseaux sociaux et qu’un label bourguignon a ressuscité totalement en lui offrant cette vitrine qui permet aujourd’hui de le mettre en lumière. Un peu comme un spéléologue égaré dans les bas-fonds d’une grotte qui ressort après une errance totale. Ici, cette musique est résolument black metal mais dans son essence la plus primaire ! Et c’est là que la claque intervient parce que tout repose sur pas grand-chose au départ. Je me suis pris au jeu de cette musique qui met les pieds dans le plat d’entrée de jeu, avec un black metal agressif et incisif, en ayant une certaine linéarité inhérente à ce genre de metal extrême mais avec toutefois de somptueuses lignes mélodiques qui m’ont frappé. Je ne pensais pas que l’on pouvait à ce point faire se démarquer des parties lead dans un black metal aussi crasseux et froid, tout en conservant cet aspect old school qui tape fort dans les oreilles et les esprits. En trois morceaux, les bases sont posées avec assiduité. Les plus puristes d’entre nous trouveront incontestablement leur bonheur dans ce black metal primaire, efficace au possible sans tomber dans la fioriture à outrance mais en ne s’interdisant pas quelques lignes lead. Franchement, je me suis pris une claque parce que je ne m’attendais pas à cela ! On peut être surpris quand on découvre un nouvel album, rarement selon moi devant une démo parce qu’en général, la démo est un procédé « commercial » avec peu d’enjeux à part se montrer et voir s’il existe un potentiel pour aller plus loin dans l’élaboration. Ici, en se parant d’une réédition de la part de Black Shadow Legions, Mesfetor et son « Manifest I » promet énormément de belles choses pour la suite. Et j’en veux pour preuve le partage récent sur Facebook de la part d’un autre label estampillé black metal français de « Manifest II« , premier EP. C’est vous dire si cela sent bon pour la suite. C’était une excellente découverte en première intention !
Sur la production, je ne vous surprendrai pas si vous suivez mes chroniques pour ce label bourguignon pour lequel j’ai une profonde affection et qui a la particularité de produire majoritairement des projets « true » dignes des CDs ultra underground que l’on écoute que quand on est sacrément initié. Il va donc de soi que ce « Manifest I » jouit d’une production sonore très raw. Soit des instruments dont on ressent vite qu’il n’y a pas eu énormément de retouches, que les moyens d’enregistrement ont été « simples » et que de toute manière, la qualité sonore en elle-même, au-devant de ce qui se fait modernement aujourd’hui, on s’en fiche. Voilà ! C’est un son « garage » qui me sied beaucoup, moi qui continue à défendre les projets de ce genre pour les mettre en lumière. Il convient néanmoins, comme à chaque fois, de vous mettre en garde. Car si vous n’aimez pas les productions infectées (contraire d’aseptisées), vous allez tiquer fortement. Mesfetor ne fait pas dans la dentelle, les guitares sont agressives donc, la batterie programmée n’est pas nécessairement retouchée non plus, la basse ne s’entend pas tant que cela et le chant est mis en avant car, on en reparlera, il est très important dans ce type de production. Vous serez prévenus ! A ne pas confier aux chastes oreilles des débutants dans le genre, c’est évident. Mais putain, que c’est jouissif d’écouter de la beauté dans la saleté comme cela…
Pourquoi le chant est souvent mis en exergue ? Parce que ce type d’ouvrage est un incontestable manifeste. Comme beaucoup de prédécesseurs ou de suivants, sauf qu’ils ou elles ne disent pas le nom ! Mais ce sont des manifestes. Des manifestes de musiciens révoltés, en colère, prêts à vendre leurs âmes pour une annihilation générale ! Ma compagne, férue de ce genre de musique, crierait « lance-flammes !!! » mais c’est exactement cela. On sent de la haine, de la misanthropie, de la colère dans cette musique black metal aux antipodes des productions actuelles. Alors, pourquoi faire dans la propreté si au final, votre propre psyché est vouée à la destruction et à l’Enfer ? Voilà pourquoi ce type de démos ne peut que me plaire, parce qu’ils me servent d’exutoire. Et « Manifest I » était pleinement bienvenue dans une période intense. Je crois que quand on a compris que le « true » black metal est là non pas pour plaire, mais pour nuire, alors on a tout compris. Cette première démo de Mesfetor était probablement une des bonnes surprises de cette année pour moi, ce qui me manquait pour rendre ma vie finalement meilleure. J’attendais impatiemment ce genre de production pour me replonger dans les méandres sombres de ma psyché, et je dois dire que ce type de démarche me conforte dans l’envie maladive de soutenir cet underground ô combien vital ! Surtout quand il aborde des sujets peu connus comme le Parfaxitas, une figure démoniaque multiculturelle, quand on aborde aussi la thématique des Sigil très ésotérique, ou encore le concept yoga du Kaivayla qui définit un écartement définitif de la conscience et de la matière. Non ! Décidément, Mesfetor, je suis ton nouvel esclave, tu m’as conquis !
Ayant abordé le chant dans le précédent paragraphe, je vais passer directement à la conclusion de cette nouvelle chronique. Mesfetor a surgi de nulle part, ressuscité par une initiative courageuse du label Black Shadow Legions, qui a ressorti cette année la première démo du projet nommé « Manifest I« . Porté par Nith, venu tout droit de Rouen dans la belle Normandie, cette première démo m’a fait l’effet d’une bombe. Redoutable black metal old school au possible, dont les sonorités débordent de saleté et de haine, dont on pourrait donner sans peine l’étiquette prestigieuse de « true », cette démo est clairement et indéniablement un manifeste. Elle s’écoute avec une véritable passion, comme si les sonorités sales faisaient ressortir de nos entrailles des turpitudes enfouies et une haine dont nous passons notre temps à chasser pour faire semblant d’être heureux. Au final, c’est avec ce genre de manifeste que l’on sait à quel point on est foutu ! C’est donc une démo à écouter avec retenue, surtout quand on est fragile, mais pour ma part c’est un gigantesque oui. Une des sorties les plus inattendues de l’année pour moi ! J’ai hâte de me frotter au « Manifest II » ! Black Shadow ? Tu ne le sortirais pas celui-ci ?…
Tracklist :
- Gateways to Parfaxitas 04:26
- The Lurid Sigil 06:10
- Kaivalya 05:31
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